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En récompensant Annie Ernaux, le comité Nobel célèbre une oeuvre autobiographique au long cours mais aussi une autrice qui se revendique de gauche et qui est devenue une référence pour les féministes.
Recevoir le Nobel, c'est recevoir la responsabilité "de témoigner (...) d'une forme de justesse, de justice, par rapport au monde", a réagi l'autrice. Comme un reflet de ses oeuvres, radiographies de l'intimité d'une femme qui a évolué au gré des bouleversements de la société française depuis l'après-guerre.
Ces dernières années, son oeuvre a pris rétrospectivement une nouvelle dimension, à mesure que de nouvelles générations la redécouvraient. Au point que de nombreux intellectuels, de la cinéaste féministe Céline Sciamma à l'écrivain des "transfuges de classe" Edouard Louis, se sont réclamés de son héritage.
Une influence dont elle faisait encore mine récemment de s'étonner, déclarant en mai à l'AFP qu'elle se sentait "femme. Une femme qui écrit, c'est tout".
Pourtant, avant le Nobel, cette professeure de littérature à l'université de Cergy-Pontoise avait déjà reçu le Prix Renaudot en 1984 pour "La Place" et été finaliste du prestigieux prix Booker international en 2019.
Elle a écrit une vingtaine de récits, où elle dissèque le poids de la domination de classes et la passion amoureuse, deux thèmes ayant marqué son itinéraire de femme déchirée en raison de ses origines populaires.
Ecrivaine revendiquée de gauche, Annie Ernaux se nourrit de la sociologie bourdieusienne dont la découverte dans les années 1970 lui permet d'identifier le "mal-être social" qui la ronge dès son entrée dans une école privée dans les années 1950.
Née en 1940, elle vit jusqu'à ses 18 ans dans le café-épicerie "sale, crado, moche, dégueulbif" de ses parents à Yvetot en Haute-Normandie, dont elle va s'extraire grâce à une agrégation de lettres modernes obtenue à force d'un travail intellectuel intense.
Des "Armoires vides" (1974) aux "Années" (2008), l'autrice va passer d'un premier petit roman âpre et violent à cette généreuse autobiographie historique.
Dans "Les armoires vides", son héroïne décrit avec rage les deux mondes incompatibles dans lesquels elle évolue lors de son adolescence: d'un côté, l'ignorance, la crasse, la vulgarité des clients ivrognes, les petites habitudes minables de ses épiciers de parents et de l'autre "la facilité, la légèreté des filles de l'école libre" issues de la petite bourgeoisie.
- "Roman d'une génération" -
Au fil des récits tous publiés chez Gallimard, l'autrice va réparer la trahison qu'elle estime avoir commise envers ses parents en leur consacrant un portrait réconcilié dans "La Place" et "Une femme" (1988).
Avec "Les Années", elle évoque sa vie pour tracer le roman de toute une génération, celle des enfants de la guerre marqués par l'existentialisme dans les années 50 et la libération sexuelle.
"Je me considère très peu comme un être singulier mais comme une somme d'expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent)", écrit-elle dans "L'écriture comme un couteau".
Dès lors, l'écriture devient un moyen d'atteindre l'expérience intime de sa condition féminine modelée par Simone de Beauvoir: son dépucelage raté dans "La Honte" (1997) puis dans "Mémoire de fille" (2016 - BIEN 2016), son avortement illégal vécu en 1963 comme une émancipation sociale dans "L'Evénement" (2000), l'échec de son mariage dans "La femme gelée" (1981) ou encore son cancer du sein dans "L'usage de la photo" (2005).
Jugée par ses détracteurs comme une écrivaine obscène et misérabiliste, elle choque par la description crue de l'aliénation amoureuse dans "Passion simple" (1992).
Installée depuis 1977 à Cergy-Pontoise, elle a consacré de nombreux écrits sur cette ville nouvelle de banlieue parisienne décrivant la vie de ses semblables qu'elle croise dans les supermarchés ou le RER.
Dans "Le journal du dehors" (1993), "La vie extérieure" (2000) ou "Regarde les lumières mon amour" (2014), elle fait entrer en littérature des sujets banals, toujours avec cette même rigueur d'ethnographe.
Octogénaire, elle connaît une forte exposition médiatique avec l'adaptation au cinéma de "L'Evénement" (Prix Lumières et Lion d'Or à Venise) et de "Passion simple".
F.El-Yamahy--DT