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Dans une cité antique d'Albanie abandonnée à son sort, des pilleurs de trésors creusent des trous à la recherche d'or, d'argent ou de pièces archéologiques rares qu'ils pourraient revendre.
L'impunité est quasi totale et les archéologues s'insurgent contre ces fouilleurs clandestins accusés de détruire un patrimoine historique et culturel inestimable et d'alimenter un trafic d'objets d'art, y compris vers l'étranger.
Dans la région de Korçë, dans le sud-est du petit pays des Balkans, une vaste cité antique de 20 hectares appelée Hija e Korbit, ou "Ombre du Corbeau", est recouverte de végétation sauvage.
Personne ne protège le site plurimillénaire perché sur une colline. Ici et là, on voit des trous, creusés à la main ou à la pelle mécanique. Le terrain est parsemé de tessons de céramique antique, témoins de fouilles illégales.
"Il y a des gens de toutes les régions qui se dépêchent dans ces lieux", explique à l'AFP Axhem Lagështari, 60 ans, un habitant du coin. "Partout ils creusent, ils fouillent dans l'espoir de trouver de l'or, de l'argent ou d'autres objets de valeur".
Les archéologues disent à l'AFP avoir constaté des fouilles illégales dans la quasi totalité des cités archéologiques de la région, situées en hauteur et difficiles à protéger. Elles sont riches en nécropoles, fortifications ou vestiges datant de l'âge de bronze jusqu'au haut Moyen-Age.
"Le problème est particulièrement inquiétant à Hija e Korbit, une importante cité archéologique pas encore explorée par les archéologues", déplore Rovena Kurti, cheffe du département de la préhistoire de l’Institut de l’archéologie de Tirana.
- Destruction de preuves scientifiques -
"Ils abîment le site et pillent le patrimoine", poursuit la scientifique, co-directrice d'une mission archéologique franco-albanaise travaillant dans le pays.
Les pilleurs creusent de nuit, à l'aide de pelles, de pioches, d'excavatrices. Sur les réseaux sociaux, les offres de détecteurs "d'or, d'argent et d'objets de valeur" pullulent.
Au-delà des vols, ils détruisent les données scientifiques et sortent les objets du contexte environnemental qui permet aux archéologues de comprendre l'histoire, explique Cécile Oberweiller, ex-directrice de la mission franco-albanaise de Korçë.
Au nord-est de Tirana, à Brrar, les vestiges méconnaissables d'une église du XI ou XII siècle et les trous béants qui défigurent le site témoignent de l'avidité des pilleurs.
L'église Sainte Vierge Marie, dont seule une pierre tombale de 1201 a été sauvée, est pourtant censée être protégée par son statut de monument culturel.
"On peut lui mettre n'importe quel nom mais en vérité, elle n'est actuellement qu'une ruine en proie aux pilleurs", peste Skender Muçaj, un archéologue qui se bat pour protéger le lieu dont il ne restera bientôt plus rien.
Le sous-sol est fraîchement creusé par des gens vraisemblablement désireux de fouiller les tombes anciennes à la recherche de choses à vendre.
"Je viens chaque mardi pour prier la Sainte Vierge Marie, elle a sauvé la vie de mon fils malade mais moi j'ai été impuissante à sauver son abri", dit à l'AFP Nora Braia, 80 ans, cachant ses larmes de ses mains tremblantes.
- "Fermer les yeux" -
Elle est "sûre" qu'un jour les pilleurs "seront poursuivis par le malheur".
Mais en attendant, ils semblent agir sans beaucoup d'entraves. Les scientifiques réclament des mesures sévères et une meilleure coordination entre police, autorités locales et autorités culturelles pour empêcher le trafic d'objets, souvent le fait de bandes organisées.
Le ministre albanais de la Culture assure à l'AFP "avoir renforcé les mesures" pour protéger "le patrimoine culturel" et dit coopérer "avec les autres organisations internationales contre le trafic illicite de biens culturels".
S'il n'existe pas d'estimations de la valeur marchande du marché du pillage, les chercheurs sont certains que certains objets volés alimentent un trafic international, se retrouvant dans des ventes aux enchères, musées ou collections privées à l'étranger.
"C'est un combat que l'Albanie ne peut pas mener toute seule, la responsabilité incombe également aux autorités des autres pays qui ferment les yeux quand ces objets sont exposés dans leurs musées", accuse Neritan Ceka, historien de l'art.
La récente mise en examen en France de Jean-Luc Martinez, l'ancien patron du Louvre, le plus grand musée du monde, dans un trafic présumé d'antiquités provenant du Proche et du Moyen-Orient, a mis en lumière ce type de commerce illicite.
L'archéologue français Pascal Darcque dénonce également "les pratiques douteuses des musées qui se fournissent sur (le marché des antiquités) sans se préoccuper sérieusement de l'origine des objets".
Alors que la quasi totalité des pays régulent les recherches sur leur territoire, "les objets qui apparaissent aujourd'hui sur le marché (...) sont a priori suspects". "Leur vente doit être bloquée et si leur origine géographique peut être établie, une restitution à l'Etat en question doit être organisée".
I.Menon--DT