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Des "excuses" réitérées et "enfin" un cercueil, 61 ans après l'assassinat: La Belgique a restitué lundi à la République démocratique du Congo (RDC), lors d'une cérémonie empreinte d'émotion, une dent du héros congolais Patrice Lumumba dont la dépouille va rejoindre un mémorial à son nom à Kinshasa.
Cette restitution ouvre une nouvelle page dans la relation entre la RDC et son ex-puissance coloniale, dont l'assassinat de 1961 constitue un des épisodes les plus sombres.
"Le lundi 20 juin 2022 entre dans les annales de notre histoire commune, le retour de Patrice Emery Lumumba permet à la RDC de recouvrer un des maillons essentiels de sa mémoire nationale fragmentée par la tragédie de sa disparition", a affirmé le Premier ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde lors de la cérémonie à Bruxelles.
La dent avait été saisie par la justice en 2016 chez la fille d'un policier belge ayant participé à la disparition du corps, après l'assassinat du 17 janvier 1961.
Contenue dans un coffret, elle a été placée dans un cercueil qui a été remis aux autorités congolaises en présence de François, Juliana et Roland Lumumba, les enfants du leader assassiné, et de leurs familles.
"Père, nous pleurions ta disparition sans avoir fait d'oraison funèbre (...) notre devoir de descendant c'était de (t') offrir une sépulture digne", a déclaré Juliana, les larmes aux yeux.
Soulignant les zones d'ombre qui entourent encore l'assassinat, elle a rappelé avoir réclamé en 2020, dans une lettre au roi des Belges Philippe, le retour de la dent ayant valeur de "relique" aux yeux des Congolais, restituée par le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw.
Premier Premier ministre de l'ancien Congo belge devenu indépendant le 30 juin 1960 (l'ex-Zaïre, aujourd'hui la RDC), Patrice Lumumba a été renversé dès la mi-septembre 1960 par un coup d'Etat.
Il a été exécuté le 17 janvier 1961 avec deux frères d'armes, Maurice Mpolo et Joseph Okito, par des séparatistes de la région du Katanga (sud), avec l'appui de mercenaires belges. Son corps, dissous dans l'acide, n'a jamais été retrouvé.
Il a fallu plusieurs décennies pour découvrir que des restes humains avaient été conservés en Belgique, quand le policier belge Gérard Soete ayant participé à la disparition a brisé le secret et s'en est vanté dans les médias.
Revenant sur les conditions de ce "terrible" assassinat, dans un Katanga sécessionniste refusant de reconnaître le nouveau pouvoir indépendant, Alexander De Croo a pointé du doigt des responsables belges qui à l'époque "ont choisi de ne pas voir", "de ne pas agir".
- "Des mensonges délibérés " -
Une commission d'enquête parlementaire en 2000-2001, a-t-il rappelé, "a conclu que le gouvernement belge avait fait manifestement peu de cas de l'intégrité physique de Patrice Lumumba et qu'après son assassinat, ce même gouvernement a délibérément répandu des mensonges sur les circonstances de son décès".
"Plusieurs ministres du gouvernement belge de l'époque portent, en conséquence, une responsabilité morale quant aux circonstances qui ont conduit à ce meurtre. C'est une vérité douloureuse et désagréable. Mais elle doit être dite", a poursuivi le dirigeant libéral flamand, fustigeant un acte "indéfendable", "odieux".
Le cercueil recouvert du drapeau congolais devait rejoindre à la mi-journée l'ambassade de RDC à Bruxelles.
Il doit partir mardi soir pour Kinshasa où le pouvoir congolais est en train d'achever la construction d'un "Mémorial Patrice Lumumba" sur un grand axe où s'élève déjà une statue du héros national.
Une cérémonie d'inhumation doit y être organisée le 30 juin, date anniversaire de l'indépendance. Tout au long de la semaine précédente, le cercueil fera étape en des lieux emblématiques de son parcours personnel et politique.
La réflexion sur le passé colonial s'est brusquement accélérée en Belgique en 2020, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter. Après des manifestations de colère d'Afro-descendants, et des déboulonnages de statues de Léopold II par plusieurs municipalités, le Parlement a mis sur pied une nouvelle commission chargée de "faire la clarté" sur ce passé.
C'est aussi cette année-là que le roi Philippe a exprimé ses "plus profonds regrets" pour les "blessures" de la période coloniale. Un propos répété début juin lors de son premier voyage en RDC.
T.Jamil--DT