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Certains ont des crises de panique, d'autres éclatent en sanglots. Les Libanais, épuisés par dix mois de violences, vivent dans l'angoisse d'un conflit majeur avec Israël, qui ravive les traumatismes des guerres passées.
"J'ai l'impression que la maison va s'effondrer sur moi (...) Parfois, je me fige ou je me mets à pleurer", raconte une femme de 29 ans qui vit près de Saïda, la principale ville du sud du pays.
Employée contractuelle d'une ONG, elle avait 11 ans quand une guerre a opposé le Hezbollah pro-iranien à Israël en 2006, au cours de laquelle des bombes sont tombées près de sa maison.
"Ces sons vous plongent dans des flashbacks", ajoute la jeune femme qui ne veut pas dévoiler son nom, dans un pays où la santé mentale reste parfois un tabou.
"Je souffrais déjà d'anxiété et de dépression, mais ma santé mentale s'est détériorée" depuis octobre, explique-t-elle. Elle confie ne pas avoir les moyens de suivre une thérapie, son travail ayant ralenti en raison des hostilités.
Les échanges de tirs transfrontaliers entre le Hezbollah libanais et l'armée israélienne, quotidiens depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, menacent de tourner à un conflit plus large, après une frappe israélienne qui a tué le 30 juillet un chef militaire du Hezbollah près de Beyrouth et l'assassinat du chef du Hamas à Téhéran, imputé à Israël.
L'Iran et le Hezbollah ont promis de venger ces assassinats et les Libanais retiennent leur souffle.
Nombres de compagnies aériennes ont suspendu leurs vols pour Beyrouth, tandis que les chancelleries occidentales ont exhorté leurs ressortissants à quitter le pays.
- "Je ne pouvais pas respirer" -
Lorsque des avions israéliens ont survolé Beyrouth à basse altitude cette semaine et franchi le mur du son au-dessus de la capitale, Charbel Chaaya, 23 ans, a fait sa première "crise de panique".
"Je ne pouvais pas respirer, mes jambes étaient engourdies. Sur le moment, on ne savait pas ce que c'était, comme ce qui s'est passé le 4 août", confie ce jeune homme qui étudie le droit en France et dont la famille réside près de Beyrouth.
Le 4 août 2020, l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire, dans le port de Beyrouth, a dévasté des quartiers entiers, tuant plus de 220 personnes.
Laila Farhood, professeure de psychiatrie et de santé mentale à l'Université américaine de Beyrouth, explique que le "cumul des traumatismes" a laissé de nombreux Libanais stressés, anxieux, déprimés et souffrant de stress post-traumatique.
Les traumatismes se transmettent d'une génération à l'autre, explique-t-elle.
Le Liban a connu une longue guerre civile, entre 1975 et 1990, et de multiples épisodes de conflit avec Israël, qui a notamment a envahi le pays et assiégé Beyrouth en 1982.
"Ce qui se passe maintenant réveille les traumatismes enfouis", ajoute cette spécialiste des traumatismes de guerre au Liban.
Layal Hamzé, d'Embrace, une association à but non lucratif qui gère un centre de santé mentale et une ligne d'assistance téléphonique pour la prévention du suicide, affirme que les Libanais sont désormais "plus sensibles à tous les bruits".
Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont appelé à ce que cessent les feux d'artifice lancés lors des mariages ou les tirs d'armes automatiques qui célèbrent le baccalauréat, une pratique courante dans certaines régions.
"Le niveau d'adrénaline est déjà élevé. L'anxiété augmente (...) comme la peur de l'avenir et de la façon dont les choses pourraient dégénérer", estime Layal Hamzé.
- "Incertitude" -
La crainte d'une guerre totale intervient alors que les services publics, notamment le secteur de la santé, sont affectés depuis quatre ans par une crise économique qui a appauvri une grande partie de la population.
Les mécanismes d'adaptation varient énormément selon les personnes: certaines "font la fête" tandis que d'autres "se rapprochent de leur entourage" pour se sentir moins seules, poursuit Layal Hamzé.
Andrea Fahed, 28 ans, une danseuse dont l'appartement a été endommagé par l'explosion du port, a paniqué quand elle a entendu les bangs supersoniques cette semaine.
Elle déclare avoir "de la chance" d'être danseuse, car avec ses collègues "nous rions ensemble, nous bougeons ensemble... nous lâchons prise".
Désormais, elle garde ses fenêtres ouvertes, pour éviter qu'elles se brisent à la prochaine explosion.
On vit dans "l'incertitude, tout peut arriver", souffle-t-elle. Si la guerre "est aussi intense à Gaza, pourquoi elle n'arriverait pas ici?"
F.El-Yamahy--DT