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Oleksandre Kovaliov est groggy mais soulagé. Le soldat ukrainien sort d'une heure et demie de soins pour une rage de dents, dispensés dans un cabinet dentaire mobile à une trentaine de km de la ligne de front.
"Le médecin a enlevé les nerfs et a fait un nouveau plombage. Tout va bien, je sens encore l'anesthésie", explique à l'AFP le militaire âgé de 31 ans en sortant d'une camionnette jaune flambant neuve, donnée par le Luxembourg et aménagée en véritable cabinet dentaire.
Les traits tirés, il dit s'être assoupi dans le fauteuil car il n'avait "pas assez dormi".
Parti de Kramatorsk, dans l'Est de l'Ukraine, le véhicule s'est rendu dans un hameau d'une dizaine d'habitants, en pleine campagne.
Il s'est garé pour deux jours devant une petite maison occupée par des soldats, le lieu de rendez-vous où Oleksandre et quatre autres membres de son unité de mortiers sont venus pour se faire soigner.
Ces dentistes assurent des services essentiels pour les soldats, qui n'ont pas le temps d'aller consulter en cabinet. Ce sont donc les soignants qui viennent à eux, malgré les dangers des combats tout proches.
- Six m2 -
Vêtue d'une blouse jaune, masquée et gantée, loupe binoculaire et lampe fixées au front, Laïa Saraïeva, une dentiste âgée de 49 ans, soigne dans un petit espace d'environ six m2.
"Il est clair que nous sommes habitués à travailler différemment, à avoir plus d'espace", confie-t-elle à l'AFP.
"Mais nous avons ici un niveau de clinique haut de gamme. Toutes les cliniques en ville n'ont pas ce que nous avons là", se réjouit-elle.
Avec son collègue chirurgien-dentiste Igor Riskine, 46 ans, ils sont volontaires chaque week-end pour l'ONG ukrainienne Life saving center. Ils sillonnent depuis le début d'année la région près du front Est avec leur clinique mobile.
"Au début, nous avons commencé ensemble, nous travaillions tout le temps. Puis Laïa a trouvé d'autres médecins, par le biais des réseaux sociaux, qui se soucient de la santé de nos +héros+", explique le chirurgien.
La semaine, lui et sa collègue reçoivent des patients civils dans leurs cabinets respectifs à Kharkiv, la grande ville plus au nord.
D'autres dentistes volontaires soignent aussi chaque jour des soldats dans une deuxième camionnette, équipée à l'identique mais stationnée de façon fixe à Kramatorsk.
- Longue attente -
Garée à côté de la camionnette, une voiture 4X4 fait office de salle d'attente.
A l'intérieur, abrités du vent et de la pluie qui se met à tomber, quatre soldats patientent.
Ils sont venus de la zone de Lyman, où ils combattent les forces russes.
Le conducteur, Oleksiï, 41 ans, a pris rendez-vous "pour un examen général", car il n'a pas consulté "depuis plus d'un an", dit-il.
Les combattants peuvent aussi consulter dans les villes, mais souvent "il y a de longues files d'attente, car il y a beaucoup de soldats. Il n'est donc pas toujours possible de voir un dentiste", ajoute Oleksiï, qui ne souhaite pas donner son nom de famille.
Pour son camarade Oleksandre Kovaliov, le cabinet dentaire mobile "est vraiment nécessaire". Les soldats sont parfois stationnés dans des villages isolés, "où nous avons ni le temps ni l'occasion de consulter et d'être soignés", dit-il.
Selon Ievguène Gorbounov, un infirmer militaire de 29 ans basé dans le hameau, hors blessures liées aux combats, les maux de dents sont "probablement le problème numéro un" des soldats, "aprèsles douleurs dans le dos".
"A cause du manque de vitamines, du stress, de la nervosité" des combattants.
Selon Ievguène Gorbounov, un infirmer militaire de 29 ans basé dans le hameau, hors blessures liées aux combats, les maux de dents sont "probablement le problème numéro un" des soldats, "après les douleurs au dos".
"A cause du manque de vitamines, du stress, de la nervosité, les dents sont les premières à payer", affirme-t-il, se disant reconnaissant envers la brigade mobile.
- "La peur ne change rien" -
Pour les dentistes, "il est difficile de travailler dans de telles conditions, mais pour des professionnels, c'est une expérience passionnante", assure Laïa Saraïeva.
Elle explique que les soins prodigués au soldat souffrant d'une rage de dents auraient pris deux heures dans des conditions normales, "mais ici nous les faisons un peu plus vite".
Ont-ils peur de travailler ainsi non loin du front?
"Les garçons (soldats, ndlr) n'ont pas peur. Et on doit leur montrer que nous n'avons pas peur non plus. Nous sommes avec eux", répond Igor Riskine.
"Parfois vous traitez les garçons, vous vous serrez la main, vous vous donnez l'accolade, et une semaine plus tard, vous apprenez que cette personne n'est plus là. C'est ce qui est le plus difficile pour moi", ajoute-t-il, en évoquant la mort de soldats.
Pour Laïa Saraïeva, "la peur ne change rien à la situation. Si une roquette arrive, que vous ayez peur ou pas, vous mourrez de toutes les façons, dans la joie ou dans les larmes. Mieux vaut donc être heureux", dit-elle, fataliste.
Y.Rahma--DT