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Dans le bar d'un petit bourg du centre de la Bretagne, Thibault Tricole s'entraîne d'un geste assuré: premier Français à se faire un nom sur le circuit semi-pro des fléchettes, il vise désormais les extravagances du circuit pro.
Ce barbu de 32 ans, au front dégarni et au sourire engageant, a été initié aux fléchettes par son père et s'est vite distingué dans le petit cercle des amateurs en France, où la fédération, non reconnue par l'Etat, ne compte que 1.200 licenciés.
Architecte-paysagiste de formation, il s'est aussi lancé sur le circuit international mais s'est peu à peu retrouvé dans une impasse: "J'étais dans le ventre mou du championnat, ça servait à rien, j'étais largué. Et au boulot je n'avais pas la tête non plus, je ne progressais plus", raconte-t-il à l'AFP.
Début 2020, poussé par sa compagne, il s'est donc lancé à plein temps dans les fléchettes, en investissant le temps et l'argent nécessaires pour écumer les tournois amateur et semi-pro de la WDF (fédération internationale de fléchettes).
Dans cet univers encore très anglo-saxon aux personnages souvent haut en couleurs, il est devenu la "French Touch", avec un maillot aux couleurs tricolores et des fléchettes au design résolument breton.
"Au début, c'était galère de se retrouver le seul Français", raconte-t-il. Mais son anglais a progressé et il a tissé des liens avec un petit noyau de joueurs qu'il retrouve de tournoi en tournoi pour se soutenir et profiter ensemble des gastronomies locales.
- "Un sport cérébral" -
Aux fléchettes, la condition athlétique est en effet secondaire. Des cheveux blancs, quelques kilos en trop? Peu importe puisque "les fléchettes, c'est un sport cérébral", assure Thibault Tricole.
Lui s'entraîne dans une salle aménagée dans le bar gérée par sa compagne à Malguénac, près de Pontivy, très loin de l'ambiance parfois déjantée de certains tournois. Mais après 20 ans de pratique, sa marge de progression est plus dans le mental que dans la technique.
"Je connais des joueurs qui s'entraînent 8 heures par jour. Moi j'ai envie de garder ce plaisir de jouer", explique-t-il. "Ce que je recherche, ce sont les sensations, les émotions, gérer son palpitant. J'ai pas envie de devenir un robot, même si je sais que c'est un peu ça qu'il faudrait."
Avec l'aide d'un préparateur mental, il travaille sur l'imagerie mentale et la respiration, mais aussi sur une routine, "des rituels pour me mettre toujours dans les mêmes conditions", à l'image des tics de Rafael Nadal.
Et la "French Touch" a du succès: Thibault Tricole figure parmi les 10 premiers mondiaux du circuit WDF avec des victoires en Espagne, en Grèce, au Danemark, au Pays de Galles...
En avril, il a échoué d'un rien en finale des championnats du monde WDF et la semaine dernière, il a atteint les demi-finales en simple et remporté en double un tournoi rassemblant 6.000 joueurs aux Pays-Bas.
- "Je défriche" -
Désormais, il peut compter sur le soutien de deux sponsors, des marques japonaise et anglaise de fléchettes, et de deux industriels du Nord qui financent ses déplacements (40 à 50.000 euros par an).
Mais s'il parvient à intégrer le prestigieux circuit professionnel PDC (Professionnal Darts Corporation), tout sera démultiplié: la pression, le show, les gains... "Ça serait encore une autre vie !"
Pour cela, 10 tickets d'entrée sont mis en jeu chaque année lors d'une série de tournois en janvier: en 2020, Thibault Tricole s'est classé 12e, cette année 25e.
"Je ne suis passé pas loin. J'y serai mais je ne sais pas quand", assure-t-il. "Mais je ne suis pas forcément pressé parce que j'ai envie d'être armé psychologiquement, le niveau est très élevé".
Déjà invité à plusieurs tournois PDC, il a enchaîné les défaites au 1er tour mais vient d'accéder cette semaine à un 2e tour, avant de s'incliner à la belle 6-5 devant le 11e mondial.
"C'est pas évident pour moi parce que je défriche, je n'ai pas de références en France, personne à qui demander conseil", reconnaît-il. Mais il espère bien que ses succès entraîneront d'autres tricolores dans son sillage.
F.Saeed--DT