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L'échec du dispositif de sécurité mis en place samedi lors de la finale de la Ligue des champions est imputable à un défaut "d'anticipation" et "d'adaptation" plus qu'à une doctrine de maintien de l'ordre inappropriée, jugent des chercheurs et spécialistes interrogés par l'AFP.
Des spectateurs sans billets qui escaladent les grilles, des familles et des supporters aspergés de gaz lacrymogènes, d'autres victimes de vols ou d'agressions autour du Stade de France: l'organisation et l'attitude des forces de l'ordre avant le match Real Madrid-Liverpool ont été pointées du doigt côté espagnol et, surtout, en Angleterre.
"Tout ceci n'aurait pas eu lieu s'il n'y avait pas eu toute la problématique extrêmement mal gérée des flux de personnes", explique à l'AFP Mathieu Zagrodzki, chercheur spécialisé en sécurité intérieure.
Les autorités auraient en effet dû anticiper, avec la grève du RER B, un report massif vers le RER D des spectateurs, qui se sont retrouvés bloqués à un point de préfiltrage, exigu et mal calibré.
Le général Bertrand Cavallier, ancien directeur du Centre national d'entraînement des forces de la gendarmerie à Saint-Astier, déplore lui aussi une difficulté "d'adaptation" du dispositif.
- "Réaction disproportionnée" -
La grève du RER B était prévue et les services de renseignement avaient alerté les autorités, deux jours avant la finale, sur la venue à Paris d'environ "50.000 supporters anglais sans billet", dont certains susceptibles d'accéder au Stade de France.
Bertrand Cavallier pointe aussi du doigt un "gros problème d'analyse en amont et d'anticipation", notamment d'un "environnement marqué par une forte délinquance".
Par ailleurs, selon un haut gradé de la gendarmerie, la préfecture de police n'avait impliqué ni la gendarmerie, ni les CRS dans la préparation du dispositif de sécurité, "alors que la majorité des effectifs déployés autour du stade de France étaient des gendarmes".
Ce haut gradé regrette aussi "l'omniprésence" des politiques sur ce type d'événements.
"Que fait un ministre (les ministres de l'Intérieur Gérald Darmanin et des Sports Amélie Oudéa-Castéra, NDLR) dans la salle de commandement ?" du Stade de France, interroge-t-il. "Il ne devrait y avoir que la chaîne de commandement, sous l'autorité du responsable de l'ordre public, c'est-à-dire le préfet, et que chacun puisse effectuer sa mission".
Ensuite, selon Mathieu Zagrodzki, lorsque le point de préfiltrage problématique a été levé, entraînant un afflux de supporters sur le parvis, "il y a une réaction disproportionnée ou en tout cas non ciblée".
"On gaze de manière indiscriminée la foule en sachant que dedans il y a aussi bien des resquilleurs que des gens qui ont acquis leur billet légalement", souligne-t-il.
- Perte d'habitude -
Or, poursuit le chercheur, "le boulot de la police n'est pas que de disperser les foules, mais aussi de le faire avec discernement et d'avoir un comportement légitime d'un point de vue démocratique".
Mais, selon le général Cavallier, ce serait "un raccourci de dire qu'il s'agit d'un problème du concept de maintien de l'ordre à la Française", pointé du doigt notamment pendant la crise des "gilets jaunes".
"L'échec unanimement constaté" du dispositif "ne remet pas en cause la compétence des unités spécialisées, les gendarmes mobiles et les CRS, qui eux sont à un niveau reconnu", poursuit M. Cavallier.
Les forces de l'ordre auraient-elles pu procéder différemment ? "Anglais et Allemands ont des équipes de dialogue, des CRS ou gendarmes mobiles ni casqués, ni en tenue offensive, qui vont au contact de la foule pour leur expliquer la situation, ce qu'il faut faire et ne pas faire", explique Mathieu Zagrodzki.
"Ça permet d'apaiser les esprits et de focaliser son intervention sur les fauteurs de trouble et procéder à des interpellations ciblées. Mais ce n'est pas dans l'approche française", regrette-t-il.
Avec la multiplication des interdictions de déplacements de supporters lors des matches de Ligue 1 ces dernières années, les forces de l'ordre "ont perdu l'habitude, et donc le savoir-faire de la gestion de ces foules" de supporters, note le sociologue spécialiste des questions de sécurité Sébastian Roché.
K.Javed--DT