AEX
11.4800
Pieds nus dans la neige, le désert et bientôt les sommets montagneux: l'Espagnol Addelkarim el Hayani multiplie les exploits, comme ces 230 km parcourus en 71 heures sans chaussures lors du Marathon des Sables, lui qui a quitté le Maroc seul à 12 ans pour s'offrir un "futur meilleur".
"Pour faire ça, il faut être fou me dit-on. Mais pour moi, c’est quelque chose de normal, j’ai grandi comme ça. J’ai rencontré des Sahraouis qui m’ont dit: +Nous on habite ici, on a des sandales et ça fait mal ! Et toi tu vas là où c'est la misère pour passer en voiture+", raconte à l'AFP celui que tout le monde appelle Karim, encore chamboulé par le cocktail d'émotions qui l'a traversé après sa performance.
Il a réussi ce que personne n'avait jamais imaginé être possible: courir pieds nus le Marathon des Sables, une course d'extrême endurance en cinq étapes dans les dunes marocaine et sur des pierres tranchantes.
Parti dimanche, le coureur de 28 ans a bouclé la première étape de 30 km en six heures, soit une moyenne de 4,70 km/h. Il lui aura fallu 32 heures pour boucler la quatrième étape de 86 km (2,65 km de moyenne horaire) et plus de 11 heures pour la 5e et dernière étape vendredi (42 km à 3,71 km/h).
- Moins 37 degrés -
"Le plus difficile a été la quatrième étape, ça m’a beaucoup affecté, ma plante des pieds a été douloureuse durant plusieurs kilomètres. Mais je suis surpris, j'ai zéro ampoule sur le pied gauche et aucune ampoule qui a explosé sur le pied droit", relève l'Espagnol pour qui le plus pénible a été... la chaleur.
"J’habite au Canada, il fait moins 37 degrés. Ici c’est le contraire !", lance le sportif, qui n'en est pas son premier exploit.
Le 3 mars 2021, par moins 13 degrés, il a établi selon le Guinness World Records un nouveau record pour un semi-marathon (21 km) disputé pieds nus dans la neige en 1 h 36 min, soit 30 minutes de mieux que le précédent record établi en 2007 par le Néerlandais Wim Hof.
"Maintenant les Canadiens me contactent moi, un gars qui vient de Tanger, pour savoir comment s’entraîner pour courir pieds nus l’hiver !", s'amuse-t-il, en s'exprimant en français. "Quand je suis arrivé en Espagne, j'avais 12 ans, je ne parlais qu'arabe. Aujourd'hui je parle cinq langues. J’ai été chanceux d’arriver là-bas (en Espagne)".
Karim el Hayani a grandi dans une famille pauvre avec ses trois soeurs et son frère. Il avait de quoi manger mais guère plus. Il jouait au foot pieds nus et observait avec curiosité certains revenir de l'Espagne voisine avec une voiture et bien habillés, se souvient-il.
- "C'est possible" -
Sans rien dire à ses parents, il a tenté plusieurs fois de passer la frontière en se cachant dans un bus, dans un bateau ou dans un camion.
Il a fini par réussir pour être placé dans un orphelinat puis dans un centre. "J'ai appris la cuisine et j'ai commencé à faire de l'athlétisme, ce qui m'a fait aller sur la bonne voie dans la vie".
Repéré lors d'une course de cross-country, El Hayani n'a depuis jamais cessé de courir. Sans chaussures de course, d'abord en sandales puis pieds nus parce qu'il se sent beaucoup mieux comme ça.
Spécialiste de la course de montagne, il a remporté la Coupe d’Espagne (2013), l’ultra-trail Javelina Jundred (100 km) en 2015, la Coldwater Rumble (50 km) en 2017.
Un jour il décide de quitter l'Espagne pour apprendre le français à Montréal, puis l'anglais dans l'Alberta (où il vit aujourd'hui): "Je gagnais bien ma vie mais je ne pouvais pas échanger avec les athlètes internationaux que je rencontrais, je me sentais stupide".
Son prochain objectif est d’être le premier à faire l'ascension pieds nus du plus haut sommet au Mexique, le Pico de Orizaba (5675 m) à la fin de l'été.
"Je raconte tout ça parce que je veux que les enfants qui quittent leur pays pour un futur meilleur voient que c’est possible", insiste-t-il.
A.Murugan--DT