AEX
-4.3900
Dans un parc de Hong Kong, au pied d'un toboggan condamné au nom de la lutte contre le coronavirus, trois amis font de la résistance passive contre l'application de traçage anti-Covid: ils mangent des plats à emporter.
Depuis décembre, tout Hongkongais de 18 à 65 ans souhaitant se rendre au restaurant doit scanner un QR code via une application appelée "Leave Home Safe", sous peine d'une forte amende.
Des applications de la sorte ont été développées partout dans le monde mais, dans cette ville qui fait la chasse aux dissidents, la méfiance à l'égard des technologies de traçage est particulièrement développée.
Deux des trois amis pique-niquant dans le parc ont créé un groupe Facebook, "Leave Home Wild", pour proposer à leurs amis de se retrouver à l'extérieur.
En deux mois, le groupe de Bu et Birdy, qui refusent de donner leur nom complet pour des raisons de sécurité, est passé de 50 membres à plus de 6.000.
"Je n'aime tout simplement pas être forcée", explique Birdy à l'AFP lors du pique-nique avec Bu et un autre ami, Dominic.
Mais ceux qui esquivent le traçage sont susceptibles d'être considérés comme "résistants".
Après les immenses et parfois violentes manifestations qui ont secoué la ville en 2019, Pékin a imprimé sa marque autoritaire. Aujourd'hui, le Conseil législatif ne compte plus que des "patriotes" parmi ses membres.
Pour Bu, aller pique-niquer revient à "faire la planche", terme désignant une résistance passive en Chine, contre les nombreuses mesures mises en place par le gouvernement en ligne avec la politique draconienne de "zéro Covid" de Pékin.
La première règle de son groupe est de ne pas appeler les autres à boycotter l'application officielle.
"Je suis tellement frustré", écrit un membre du groupe Facebook de pique-nique. "Mais je ne scannerai jamais ce code pour manger à l'intérieur d'un restaurant".
Malgré les assurances répétées du gouvernement sur la sécurité des données, de nombreuses personnes s'inquiètent de la façon dont les informations collectées seront conservées et pourraient être utilisées.
- "Quel autre choix avons-nous?" -
"Je pense que l'appli est assez problématique, particulièrement avec la situation politique actuelle à Hong Kong", souligne Kwong Chung-ching, spécialiste de la protection des données.
"Le code source ne nous a jamais été accessible donc il n'y a aucun moyen pour les gens de vérifier où les données vont et comment elles sont traitées".
Actuellement, les informations de l'utilisateur de l'application sont liées à un numéro de téléphone, pas à un nom et les déplacements ne sont pas suivis en dehors des QR codes scannés.
Les utilisateurs sont informés par l'application s'ils ont fréquenté un lieu en même temps qu'une personne testée positive au Covid-19.
Cette stratégie de traçage et de dépistage a contribué à contenir la pandémie à un très faible niveau dans l'ex-colonie britannique.
Mais les informations collectées par l'application seront transmises aux autorités chinoises lorsqu'une personne voudra voyager en Chine continentale grâce à un code sanitaire qui contiendra noms, numéros de téléphone, numéro de carte d'identité et adresse.
Le gouvernement hongkongais met l'accent sur la technologie et a récemment intégré à cette application un pass vaccinal obligatoire dans un grand nombre de lieux, depuis les cinémas jusqu'aux bâtiments administratifs.
Toute infraction à cette obligation est passible d'une amende de 5.000 dollars hongkongais (574 euros) pour le client et de six mois de prison et 50.000 dollars hongkongais d'amende pour le gérant.
"Les gens ne peuvent ni exprimer leurs inquiétudes via les législateurs élus, ni manifester, ni se rassembler dans les rues", se désole Bu.
"Quel autre choix avons-nous que de ne pas participer?"
La liste des lieux où l'application est exigée est promise à s'allonger.
Le trois commensaux ne savent pas combien de temps ils pourront se maintenir déconnectés du système.
Bu et Dominic ont trouvé un compromis en téléchargeant l'application sur un deuxième téléphone acheté à cet effet.
Birdy s'entête, même si son obstination l'a empêchée de participer au banquet de mariage de sa meilleure amie.
"Quelle sorte de relation entre le gouvernement et moi pourrait lui permettre de me suivre de si près?", demande-t-elle.
B.Gopalan--DT