
AEX
0.7300
Le symbole est fort : un centre d'assistance à l'avortement a été inauguré vendredi à Varsovie juste en face du Parlement polonais qui, malgré ses promesses, n'a pas réussi à assouplir les lois très strictes en matière d'avortement dans ce pays.
"C'est un moment historique dans les 32 ans de l'histoire de la Pologne démocratique, car personne n'y est jamais parvenu auparavant", a déclaré à la presse Anna Pieta, coordinatrice du centre d'une voix tremblante.
"Nous avons décidé de prendre enfin les choses en main et (...) d'ouvrir un lieu où toute personne ayant besoin d'une telle assistance (à l'avortement, ndlr) pourra en bénéficier", a-t-elle ajouté quelques minutes après avoir coupé le ruban et arraché un papier recouvrant la vitrine du centre, premier du genre en Pologne, pays à forte tradition catholique.
Situé dans les locaux d'un ancien magasin, le centre ouvrira samedi au public, à l'occasion de la Journée internationale de la Femme.
Le centre ne veut pas être une clinique classique d'avortement mais va plutôt ressembler "à votre propre maison", selon Justyna Wydrzynska, une militante de l'organisation Abortion Dream Team.
A l'entrée trône un canapé rouge en forme de coeur, le reste des locaux reste caché derrière de grands rideaux rouges à cause des travaux toujours en cours.
"Il y a une salle de bains, un canapé, un endroit où l'on peut s'allonger et se préparer une tasse de thé, un café, se mettre sous une couverture et pratiquer l'avortement comme on le fait habituellement à la maison", explique Mme Wydrzynska.
"C'est un endroit où vous pourrez venir et, en toute compréhension, acceptation, prendre des pilules et bénéficier de notre soutien", ajoute-t-elle.
- Avortements de groupe -
En 2023, Justyna Wydrzynska a été reconnue coupable d'avoir aidé une femme à avorter, et condamnée, en tant que première en Pologne, à des travaux d'intérêt général.
En février, un tribunal polonais a cependant ordonné la reprise du procès dans son affaire.
Ce mois-ci, un expert indépendant de l'ONU a demandé à la Pologne d'acquitter Mme Wydrzynska.
La Pologne est le pays avec une loi anti-avortement des plus strictes en Europe.
L'avortement n'y est actuellement autorisé que si la grossesse résulte d'une agression sexuelle ou d'un inceste, ou si elle constitue une menace directe pour la vie ou la santé de la mère.
L'aide à avorter y est par ailleurs interdite et passible de trois ans de prison.
En revanche, la loi ne pénalise pas la femme si elle pratique l'avortement elle-même, via par exemple des pilules commandées en ligne.
Après son arrivée au pouvoir en décembre 2023, la Coalition civique du Premier ministre Donald Tusk s'est engagée à libéraliser la législation, sans succès jusqu'à présent faute de soutien suffisant au Parlement.
"Les femmes peuvent venir ici avec leurs propres pilules, alors que pour celles qui ne le peuvent pas, nous déciderons de ce qui se passera, ici, entre nous et la femme", a déclaré une autre activiste, Natalia Broniarczyk.
Le centre va également procéder à "des avortements de groupe" afin que les personnes qui traversent une période difficile "puissent être ensemble et avoir le point de vue d'une autre personne", indique Mme Wydrzynska.
- "Les promesses doivent être tenues"-
Chaque année, Abortion Dream Team prête son assistance à environ 47.000 avortements, dont environ 2.000 avortements pratiqués à l'étranger, dit-elle.
Au total, jusqu'à 150.000 avortements ont lieu chaque année en Pologne, selon l'organisation Avortement sans frontières.
Les chiffres officiels ne font état que de 896 avortements pratiqués en 2024 dans les hôpitaux polonais.
Le nouveau centre a été inauguré face au Parlement et d'autres institutions d'Etat - un pied de nez fait aux politiciens.
"On s'accapare une partie de la rue la plus importante de Varsovie afin de rappeler chaque jour aux hommes politiques que nous existons, que l'avortement est une réalité et que les promesses doivent être tenues", déclare à l'AFP Natalia Broniarczyk.
"La loi ne change pas grâce à des compromis politiques (...) elle change parce que certaines personnes décident de continuer à repousser les limites", dit-elle.
Pour des raisons de sécurité et d'anonymat, le centre dispose d'une deuxième entrée donnant sur une cour.
Vendredi, trois personnes se sont postées devant le centre avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: "Non à la clinique de la mort", "Ici des enfants seront assassinés" et "assassins".
"Nous n'avons pas peur", déclare Natalia Broniarczyk.
Y.Chaudhry--DT