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Lancée à Tunis "avec deux ordinateurs portables et 2.000 dollars de financement", InstaDeep est devenue la locomotive de l'intelligence artificielle en Afrique, donnant aux jeunes Africains "l'espoir de faire partie de l'innovation et des technologies de demain", affirme à l'AFP son cofondateur, Karim Beguir.
Plus de 600 millions d'euros. C'est la somme déboursée en janvier 2023 par le laboratoire allemand BioNTech pour racheter cette start-up lancée en 2014 par cet ingénieur franco-tunisien diplômé de Polytechnique et Zohra Slim, une autodidacte tunisienne passionnée d'informatique.
"Cela a été un électrochoc pour l'écosystème. Pour la première fois, on a vu qu'une start-up démarrée en Afrique avec très peu de moyens pouvait devenir un grand acteur international. Cela a montré que ce type d'histoire était possible", souligne Karim Beguir, 47 ans, patron de l'entreprise dont le siège est aujourd'hui à Londres.
"A l'époque, quand je disais qu'on allait faire des choses du niveau des plus grands comme Meta, Google DeepMind ou autre, tout le monde m'avait ri au nez", se souvient-t-il, satisfait d'avoir mis aujourd'hui "la Tunisie et l'Afrique sur la carte" mondiale de l'IA.
Spécialisée dans l'IA "décisionnelle", InstaDeep permet aux acteurs industriels de développer des applications concrètes, capables de leur apporter des gains en termes de coûts et d'efficacité.
Au plus fort de la pandémie de Covid-19, la start-up s'était fait remarquer en mettant au point avec BioNTech un système capable d'identifier les variants les plus dangereux "en moyenne deux mois avant leur signalement", selon des données publiées dans des revues scientifiques.
Outre ses recherches sur les vaccins personnalisés contre le cancer avec le laboratoire allemand, InstaDeep travaille sur des projets pour automatiser intégralement le routage ferroviaire de la compagnie allemande Deutsche Bahn, améliorer la gestion des opérations de l'aéroport de Francfort ou prédire des invasions de criquets en Afrique.
- Tunis, Lagos, Le Cap, Kigali -
Si elle ne communique pas ses résultats, l'entreprise affirme être rentable et réaliser un chiffre d'affaires dépassant la dizaine de millions d'euros.
De 60 salariés en 2018, elle en compte aujourd'hui 350, dont la moitié en Afrique, avec des bureaux à Tunis, Lagos, Le Cap et Kigali, mais aussi au Moyen-Orient (Dubaï), en Europe (Londres, Paris, Berlin) et aux Etats-Unis (Boston, San Francisco).
"Grâce au mouvement que nous avons contribué à enclencher, les jeunes Africains ont l'espoir de faire partie de l'innovation et des technologies de demain, et notamment de l'IA qui est LA technologie de notre génération", assure Karim Beguir, qui a d'abord travaillé dans l'ingénierie financière à New York (JPMorgan, Bank of America), avant de se lancer dans l'entrepreneuriat sur le sol africain.
"Il faut absolument que l'Afrique la saisisse parce que l'alternative est la perte des sources d'activité classiques, le travail non qualifié. Juste vendre des ressources naturelles à l'état brut, ce n'est pas suffisant. Il faut vraiment créer des choses de beaucoup plus grande valeur ajoutée", plaide celui qui a passé son enfance à Tataouine, dans le sud de la Tunisie, avant de faire ses études en France puis aux Etats-Unis.
"La plus grande menace, c'est la colonisation par l'IA", avertissait fin novembre l'enseignant-chercheur sénégalais en intelligence artificielle Seydina Ndiaye, l'un des 38 experts retenus par l'ONU pour former un groupe de réflexion sur l'IA.
D'autant que des experts pointent régulièrement certains biais raciaux ou de genre dans les modèles conçus par les grandes entreprises de la tech.
"Si des jeunes Africains développent des applications pour des communautés africaines, vous avez beaucoup moins de chances qu'il y ait des biais vis-à-vis de ces populations que si elles étaient développées dans la Silicon Valley ou en Asie", estime le patron d'InstaDeep.
Mais à quel horizon l'Afrique pourra-t-elle faire émerger d'autres champions de l'IA?
"Si on arrive à canaliser cette force vive en innovation de haut niveau, je dirais que nous aurons dix InstaDeep en 10 ans", pronostique M. Beguir, à condition de résoudre certains obstacles, comme la libre circulation des chercheurs sur le continent.
"Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans certains cas, il est plus facile pour un jeune Africain compétent en tech de venir travailler en France que d'aller dans un autre pays africain. C'est un des obstacles que nous devons dépasser", prévient-il.
T.Jamil--DT