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Les victimes de violences sexuelles qui reçoivent dans l’année des soins spécialisés en psychotrauma ont des chances d’effacer en grande partie les souffrances traumatiques, indique le Dr Karen Sadlier, docteur en psychologie clinique.
Ancienne directrice du Centre de psychotraumatisme de l’Institut de victimologie de Paris, cette Américaine est membre de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui appelle dans son rapport publié jeudi à "garantir aux victimes des soins spécialisés en psychotrauma".
Question: Quels sont les effets des violences sexuelles et de l’inceste sur l’enfant et l’adulte?
Réponse: La victime présente des troubles psychotraumatiques. Elle revit les violences sous forme de réminiscences, pensées intrusives, flashes, cauchemars. Elle éprouve une détresse psychologique et émotionnelle face à un événement qui lui rappelle le souvenir traumatique. Obligée de revoir le grand-père incestueux, elle est inondée par ces images. Violée dans une douche, elle est bouleversée au moment d’aller dans la salle de bains.
En même temps, il va y avoir une stratégie d’évitement, elle ne veut pas y penser, en parler, par peur de ne pas pouvoir gérer ses émotions et ses pensées.
Elle peut avoir des trous de mémoire, ne sait plus exactement ce qui s’est passé, en raison de modifications neurologiques. Il peut même y avoir une amnésie traumatique. Elle ne se souvient pas de certaines choses, qui reviennent, à cause d'éléments sensoriels, quand ses enfants ont l’âge qu'elle avait lors de l’inceste.
On peut observer aussi une dissociation traumatique émotionnelle: je me souviens très bien, je raconte mais je ne ressens aucune émotion. Ou physique: il y a des parties de mon corps que je ne ressens pas. Par exemple, s’il y a eu sodomie, on ne ressent pas quand on doit aller aux selles.
La victime produit plus d'hormones de stress et éprouve des difficultés de concentration, une irritabilité, une difficulté à se rendormir, des sursauts, des maux de tête, de ventre, de dos.
Et il y a des troubles associés secondaires: alimentaires comme la boulimie ou l'anorexie. Des addictions. La dépression, des automutilations, des tentatives de suicide. Les psys vont retrouver ces victimes dans leur cabinet, venues pour une autre raison. C’est là qu’il faut poser la question: avez-vous été victime de violences sexuelles?
Q: Peut-on les soigner?
R: Si des soins spécialisés en psychotrauma sont prodigués dans l'année, on peut même effacer en grande partie les souffrances traumatiques. Et si des soins spécialisés sont prodigués des années après les violences, ils vont réduire de façon significative les symptômes. Ce sera comme pour le diabète ou l’arthrose, des poussées, des crises à certains moments.
Q: Quels traitements sont efficaces?
R: Les thérapies centrées sur le trauma parviennent à améliorer les symptômes. Elles se concentrent sur les aspects pratiques, aider à vivre. On va réfléchir avec un enfant agressé dans les toilettes et angoissé d'aller aux WC. Comment peux-tu te sentir en sécurité? Doit-on laisser la porte ouverte? Emporter un téléphone portable?
Le thérapeute pose des questions et guide la victime pour l’amener à comprendre comment fonctionne le trauma, comment elle a été mise sous emprise, pourquoi c’est l’agresseur qui est responsable et pas elle.
Lors des rapports sexuels, qu’est-ce qui peut vous aider à vous ramener à l’+ici et maintenant+? Si les draps étaient bleus lors de l'agression, éviter cette couleur.
Pour les enfants, les thérapies avec les animaux peuvent être une aide. Toucher un animal va produire de l'ocytocine qui va diminuer le stress.
Des méthodes axées sur le corps et l’expression artistique peuvent être utiles.
Le psychanalyste a une posture de ne pas poser de question, il laisse la personne aller là où elle veut aller. Or un des symptômes du psychotrauma, c’est l’évitement. Il faut centrer sur l’événement traumatique, parler du mécanisme des violences, montrer comment l’agresseur a mis la personne sous emprise.
Le gouvernement a annoncé son intention de mettre en place un centre de psychotrauma dans chaque département.
H.Hajar--DT