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L'air pestilentiel est empoisonné mais les habitants de Zharrëz, dans la principale région pétrolière d'Albanie, n'ont d'autre choix que de vivre au milieu des réservoirs rouillés, des derricks déglingués, des sols et des eaux contaminés, héritage vétuste de l'époque communiste.
"Nous avons tous des problèmes de santé", résume Milita Vrapi, 49 ans, qui habite la localité de 2.000 habitants située dans Patos-Marinza, la plus grande zone pétrolière du pays des Balkans.
"L'air est très lourd, j'ai souvent des vertiges, des nausées, des maux de tête et une fatigue persistante".
Selon elle, l'eau n'est pas potable et les légumes du jardin n'arrivent pas à pousser.
Des réservoirs de pétrole abandonnés sont rongés par la rouille tout comme les tuyaux servant à transporter les hydrocarbures.
Les gisements de Patos-Marinza, à une centaine de kilomètres au sud de Tirana, sont exploités par l'entreprise nationale Albpetrol et le chinois Bankers Petroleum Albania, qui y ont extrait plus de 550.000 tonnes de pétrole brut en 2022, selon les chiffres officiels.
Au total, l'Albanie produit chaque année environ 650.000 tonnes de brut exportées en grande partie vers l'Union européenne.
"L'or noir a fait sortir de terre des millions de dollars mais les habitant n'en ont presque pas bénéficié", dénonce Marsilin Senka, serrant dans ses bras son bébé de deux mois qui souffre de bronchite aigüe et qu'elle va emmener en urgence à l'hôpital. "La pollution n'est pas prioritaire pour les compagnies pétrolières".
A Zharrëz, une dizaine de puits de plus de cinquante ans fonctionnent tant bien que mal au voisinage des habitations.
Il y a aussi huit réservoirs cylindriques d'Albpetrol rongés par la corrosion.
Selon Qani Rredhi, directeur de l'association de protection de l'environnement de Zharrëz, "plus de 18.000 mètres carrés sont fortement pollués par le pétrole brut à cause d'infrastructures laissées à l'abandon depuis plus de 25 ans, avec des effets nocifs pour l'environnement et la santé des habitants".
- Pauvreté -
Patos-Marinza figure parmi les dix-huit zones à haut risque identifiées par le ministère albanais de l'Environnement.
Sous la dictature communiste d'Enver Hoxha, la zone était largement interdite à l'habitation. Mais depuis la chute du régime au début des années 1990, les autorités tolèrent que les gens y vivent, mus par la pauvreté.
Les effluves de pétrole et de gaz rendent l'air irrespirable.
"La proximité des zones résidentielles et des serres agricoles avec les gisements de pétrole, les vieux puits (...) et l'absence de mesures de sécurité et de réhabilitation sont très préoccupants", relevait le comité Helsinki albanais de défense des droits humains dans son dernier rapport.
"Le nombre d'habitants qui se plaignent de problèmes respiratoires, d'une forte concentration en dioxyde de carbone dans le sang ou qui souffrent de maladies liées aux activités industrielles est très élevé", déclare Adriatik Golemi, journaliste et membre de l'association locale pour la protection de l'environnement.
Celle-ci lie la pollution aux cancers auxquels ont succombé plusieurs habitants mais Fatjon Shehu, responsable du centre sanitaire du village, explique que la corrélation est difficile à établir dans le contexte de la pandémie de Covid-19 et en l'absence d'études.
Au-delà des problèmes de santé, le danger est partout.
- Noyades -
"Voici trois ans, une femme est morte accidentellement en se noyant dans une nappe de pétrole alors qu'elle était en train de suivre ses volailles", raconte à l'AFP Adriatik Golemi. Le village compte au moins cinq nappes dans lesquelles les gens, en particulier les enfants, risquent de trouver la mort.
Il y a aussi eu "des cas de mort de bétail ou d'oiseaux noyés dans les gisements de pétrole", ajoute Qani Redhi, qui évoque également les "fortes émanations de gaz" qui s'échappent parfois de "puits abandonnés".
Contacté par l'AFP, le ministère de l'Energie se veut rassurant et se dit déterminé à résoudre les problèmes environnementaux.
"Les compagnies qui travaillent dans les champs pétroliers de Patos-Marinza sont en train de mettre en place des plans d'action pour la réhabilitation de toutes les infrastructures vétustes du passé", assure-t-il, évoquant l'interdiction d'accès aux puits de pétrole, le nettoyage des déversements et le traitement des déchets pétroliers.
La fille de Milita Vrapi, Artemisa, lycéenne de 16 ans, s'insurge.
"Nous ne devons pas seulement penser à l'économie et à l'extraction du pétrole mais penser avant tout aux problèmes de santé, à sauver des vies, sauver notre environnement et notre planète", lance-t-elle.
En attendant, le derrick proche de leur maison est en panne depuis une semaine.
Kadri Shahu, 58 ans, dont la moitié passée dans l'industrie pétrolière, s'échine à essayer de le réparer car la panne affecte ses primes de rendement.
Son salaire de base est de 540 euros, insuffisant pour nourrir sa famille de six personnes.
A.Padmanabhan--DT