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Sur le port de Marseille (sud de la France), à proximité des navires de croisière et de fret, les trois centres de données du groupe américain Digital Realty sont refroidis avec l'eau d'une ancienne mine de charbon.
Grâce à ce "river cooling", l'entreprise assure avoir quasiment réduit à néant son usage de la climatisation, très énergivore, et abaissé de 20% l'empreinte énergétique de ces centres de données.
Le refroidissement des serveurs est l'un des leviers sur lesquels essaient d'agir les acteurs de l'IA pour limiter leur voracité énergétique, au coeur du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle à Paris les 10 et 11 février.
"Nous pompons de l'eau à raison de 3000 m3 par heure", explique à l'AFP Fabrice Coquio, président de Digital Realty France, qui compte parmi ses clients toutes les plateformes, de Microsoft à Disney et TikTok.
Il s'agit d'une eau "impropre à la consommation" car "chargée en minéraux et particules", poursuit-il, en déambulant sur le site ultra sécurisé qui accueille depuis quelques mois un supercalculateur dédié à l'IA de la start-up Sesterce et où chaque porte s'ouvre à l'aide d'une empreinte digitale.
Cette eau souterraine, à 14 degrés toute l'année, est envoyée dans les salles de serveurs au sein d'une boucle fermée pour les refroidir par échange thermique.
La température devant les machines doit être maintenue en permanence à 25 degrés et "entre 60 et 80% d'humidité" pour le fonctionnement optimal des micro-processeurs, détaille M. Coquio.
- 45 degrés en dix minutes -
"Si le système de refroidissement s'arrête, n'importe quelle salle informatique monte à 45°C en dix minutes", prévient-il, et les ordinateurs stoppent. "Le froid est aussi vital que la prise électrique qui alimente les machines."
D'autant plus que les micro-processeurs nécessaires au développement de l'intelligence artificielle générative sont plus puissants et produisent plus de chaleur que les puces traditionnelles.
Les dernières puces de Nvidia, leader américain du secteur, sont l'équivalent de "radiateurs" à "plusieurs centaines de watts", note auprès de l'AFP Jacques Sainte-Marie, directeur du programme numérique et environnement de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), en France.
Avec l'essor de l'IA, "les densités électriques réclamées par nos clients sont sans commune mesure à ce que nous faisions depuis 25 ans", abonde Fabrice Coquio.
Beaucoup d'autres centres de données ont encore recours à la climatisation ou à un système d'évaporation de l'eau, dit adiabatique, utilisé chez Microsoft par exemple.
L'usage de l'eau est ainsi devenu l'autre enjeu majeur de leurs opérateurs.
- 9.600 piscines olympiques -
La consommation des data centers de Google a ainsi augmenté de 14% en 2023, pour atteindre 24 millions de m3, soit l'équivalent de 9.600 piscines olympiques de 2 mètres de profondeur.
Microsoft, principal actionnaire d'OpenAI qui a popularisé l'IA générative avec ChatGPT en 2022, a lui vu sa consommation grimper de 22% en 2023, à 7,8 millions de m3.
"Notre stratégie vis-à-vis de l'eau est spécifique aux zones où nous opérons car elles ont des contraintes hydriques différentes", développe auprès de l'AFP Alistair Speirs, directeur des infrastructures Azure, la plateforme de cloud de Microsoft.
Le géant américain teste aussi des techniques dites de refroidissement par "immersion" dans un liquide "non-corrosif et non-conducteur".
"Mais les produits chimiques qui rendent cela possible ont généralement d'importants taux de polluants éternels", détaille M. Speirs, cette technologie restant donc à un stade expérimental.
Le secteur se tourne aussi vers d'autres méthodes comme l'utilisation de l'air ambiant adoptée ailleurs par Digital Realty, l'entreprise Data4 qui opère 34 centres de données en Europe ou encore OpCore, filiale du groupe Iliad, et Microsoft en Europe du Nord.
Les méthodes présentées comme plus "vertes" ont aussi leurs détracteurs.
A Marseille, l'adjoint au maire Sébastien Barles et le collectif "Le nuage était sous nos pieds" dénoncent un accaparement des ressources par Digital Realty.
Certes, l'eau du "river cooling" n'est pas "directement potable mais elle pourrait servir à relancer des projets d'agriculture de proximité, au nettoyage des rues, à l'arrosage des parcs", énumère à l'AFP Antoine Devillet, membre du collectif.
"S'il est indéniable que les technologies de refroidissement des data centers s'améliorent avec le temps", reconnaît-il, gare au "greenwashing".
"Il s'agit d'une forme de diversion de l'attention", soutient-il. "Quand on parle de l'impact des centres de données, il faut regarder toute la chaîne de production, qui va du minerai jusqu'à la puce avec, à chaque niveau, des enjeux énormes en termes de consommation électrique, de consommation d'eau et de consommation de matières premières qui sont potentiellement rares".
F.A.Dsouza--DT