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Le soleil est à peine levé sur l'île amazonienne de Marajo. Renato Cordeiro chausse ses bottes et prend son couteau pour saigner des hévéas qui lui donnent, goutte après goutte, de quoi nourrir sa famille.
Dans cette région pauvre du nord du Brésil, non loin de Belem, qui accueillera la conférence de l'ONU sur le climat COP30 en novembre, l'âge d'or du caoutchouc reste un souvenir lointain, après la chute drastique de la demande à la fin du XXe siècle.
Mais une initiative de l'entreprise locale Seringô (du mot portugais "seringueira" désignant l'hévéa) a permis une reprise récente de cette activité, à présent inscrite dans une logique de développement durable, étant destinée à la fabrication locale d'objets, notamment des chaussures.
De quoi redonner du travail à plus de 1.500 "seringueiros" comme Renato Cordeiro, et les impliquer dans la préservation de la forêt.
De cet homme frêle de 57 ans, on peut dire sans exagération que l'Amazonie est son jardin. Derrière sa maison sur pilotis sur la rivière Anajas, des dizaines d'hévéas poussent naturellement, au milieu d'arbres centenaires et de palmiers typiques de l'île de Marajo.
- La forêt pour patrimoine -
"J'ai commencé à saigner les hévéas à sept ans avec ma mère", se souvient Renato Cordeiro, qui manie avec soin son couteau muni d'une lame spéciale pour faire des entailles sans endommager les troncs. Un petit récipient est ensuite fixé sous chaque entaille pour récolter le latex qui s'écoule de la saignée.
Chaque jour, il ramène chez lui environ 18 litres, qu'il mélange avec du vinaigre pour obtenir des rondelles de pâte blanchâtre, attachées par la suite à une corde pour les faire sécher.
Dix jours plus tard, le caoutchouc est prêt à être revendu à Seringô, qui le récupère sur l'embarcadère devant chez lui.
Une vraie fierté pour ce père de trois enfants, qui a repris les saignées en 2017, après avoir passé une vingtaine d'années à vivoter de la chasse ou de la cueillette d'açai.
Il est déterminé à "protéger" la forêt, son "patrimoine familial".
- "Laisser un monde meilleur" -
"J'espérais tellement que notre activité reprendrait", confie Valcir Rodrigues, 51 ans, qui vit dans une autre maison sur pilotis, un peu plus au nord.
"On veut laisser un monde meilleur pour nos enfants, c'est pour ça qu'on ne détruit pas la forêt", dit-il.
Et Valcir Rodrigues doit parfois faire face à des exploitants en bois qui s'introduisent illégalement sur son terrain pour couper des arbres.
"Ils devraient comprendre à quel point ils font du mal à la forêt. C'est préjudiciable pour eux aussi", fustige-t-il.
Après des décennies florissantes, l'effondrement de la demande de caoutchouc d'Amazonie pour l'industrie pneumatique, dû à la plantation à grande échelle d'hévéas dans des pays comme la Malaisie, a eu pour effet une forte augmentation de la déforestation à Marajo.
Mais à présent, le caoutchouc fait à nouveau vivre la famille de Valcir Rodrigues. Son épouse et sa belle-mère utilisent une partie de sa production pour fabriquer de l'artisanat vendu notamment à Belem, capitale de l'Etat du Para, située à l'est de l'île.
- Souliers biodégradables -
Marajo présente un des pires indices de développement humain (IDH) du Brésil, c'est pourquoi "il fallait générer des revenus", souligne Zelia Damasceno, qui a fondé Seringô avec son mari pour stimuler l'économie durable dans la région.
Leur projet était dans un premier temps axé essentiellement sur la fabrication de petits objets d'artisanat par les femmes, mais les producteurs d'hévéa n'étaient "pas satisfaits" d'extraire du caoutchouc seulement pour donner du travail à leurs épouses.
"C'est pour cela que l'on a pensé à la production de chaussures pour qu'ils aient aussi une source de revenus", explique cette femme de 59 ans.
Leur usine située à Castanhal, à l'est de l'île, produit chaque jour environ 200 paires de chaussures de sport et de sandales totalement biodégradables, car composées à 70% de caoutchouc naturel et à 30% de poudre d'açai.
L'entreprise Seringô a reçu récemment le soutien du gouvernement de l'Etat du Para, qui poursuit l'objectif d'avoir pour fournisseurs 10.000 "seringueiros", dans le cadre d'un programme de développement durable lancé en vue de la COP30.
Mais elle doit encore redoubler les efforts pour convaincre les jeunes: "Certains ne veulent pas suivre ce chemin, reconnaît Zelia Damasceno. Il faut qu'on les aide à prendre conscience de l'importance de ce travail pour préserver la forêt, ainsi que leur avenir".
I.Viswanathan--DT