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Elle était censée représenter l'héritage emblématique des dix années de présidence de Joko Widodo. Mais la future capitale indonésienne, Nusantara, bâtie dans la jungle de Bornéo, est encore en plein chantier à quelques semaines de son ouverture prévue.
"Tout suit son cours", a déclaré M. Widodo, venu sur place en début de semaine, relativisant les retards visibles: "C'est un travail de 10, 15 ou 20 ans. Pas seulement un, deux ou trois ans."
À l'exception du palais présidentiel en forme d'ailes, inspiré de l'oiseau mythique Garuda, l'emblème national, Nusantara, qu'une équipe de l'AFP a pu visiter récemment, présente des bâtiments inachevés et des routes cahoteuses, au milieu de nuages de poussière soulevés par les camions et les excavatrices.
Nusantara devrait être inaugurée le 17 août, jour anniversaire de l'indépendance de l'Indonésie, mais les retards dans la construction, les problèmes de financement et la réticence des fonctionnaires à s'y installer ont semé le doute sur le fait qu'elle deviendra effectivement la nouvelle capitale.
Métropole de 12 millions d'habitants, Jakarta croule sous le trafic automobile et la pollution et est menacée par la montée des eaux.
Voilà pourquoi Joko Widodo, surnommé Jokowi, a ressuscité un projet de relocalisation de la capitale, longtemps abandonné. Objectif: rééquilibrer le développement du vaste archipel aux 17.500 îles, jusque là largement concentré sur la grande île de Java.
Le choix s'est porté sur la côte est de l'île de Bornéo, à 1.200 km au nord-est de Jakarta et 2 heures d'avion. Selon le plan initial qui prévoit une construction en cinq étapes d'ici 2045, la première phase devait être opérationnelle cet été.
- "Pas de crise" -
"Nous sommes sur la bonne voie. Il n'y a pas de crise, comme vous pouvez le constater", a déclaré sur place à l'AFP Danis Sumadilaga, responsable des infrastructures de Nusantara, assurant que 80% de la phase 1 est achevée.
"Mais... c'est la première étape d'un développement à long terme. Ce n'est pas pour aujourd'hui. C'est pour notre prochaine génération", a-t-il ajouté.
Son de cloche très différent de la part d'un autre responsable proche du projet, qui, sous couvert d'anonymat, confie que le niveau d'achèvement de la première phase est plus proche de 20%.
Dans la cité, une légion d'ouvriers s'échinent autour de tours encore vides, poussés à respecter la date de livraison du 17 août.
"Nous sommes effectivement sous pression pour atteindre notre objectif pour le jour de l'Indépendance", a reconnu Jamaluddin, 47 ans, directeur de la centrale à béton, qui comme beaucoup d'Indonésiens ne porte qu'un seul nom.
"Les conditions météo ont été extrêmes", ajoute Nisya Khairunnisa, un ouvrier de 37 ans, après qu'une pluie incessante s'est abattue sur le site au cours des dernières semaines.
En raison du retard, le chef de l'administration de la ville et son adjoint ont démissionné en juin.
S'y ajoute la difficulté à attirer des investissements étrangers cruciaux. Jakarta va financer 20% de la nouvelle cité mais a besoin de 100.000 milliards de roupies (5,6 mds EUR) d’investissements privés d’ici la fin 2024.
Fin juin, seulement 51.300 milliards de roupies (2,9 mds EUR) ont été collectés, provenant de bailleurs de fonds nationaux.
Selon des experts, les entreprises étrangères hésitent à s'engager dans une ville située dans l'une des plus grandes forêts tropicales au monde qui abrite orang-outans et singes à long nez.
"Elles ne veulent pas investir dans un projet au détriment de la biodiversité", explique Aida Greenbury, spécialiste indonésienne du développement durable.
Pour Nicky Fahrizal, du Centre d'études stratégiques et internationales de Jakarta, "c'est mission impossible. Les finances de l'Etat ne permettent pas de construire une méga-structure en seulement un ou deux ans".
- Réticents à bouger -
L'état d'avancement du projet n'a pas incité quelque 10.000 fonctionnaires à s'installer à Nusantara à compter de septembre prochain.
"Il est clair que les installations ne sont pas adéquates", juge un fonctionnaire d'une trentaine d'années, qui comme d'autres, a accepté de répondre à l'AFP sous couvert d'anonymat. "On nous dit qu'elle deviendra véritablement une ville en 2045. Mais nous devons nous y installer dès 2024. À quoi va ressembler alors notre vie?"
Même la promesse de primes spéciales et de frais de déménagement couverts ne les fait pas changer d'avis.
"Je suis encore très réticent à l'idée de déménager", confie un autre fonctionnaire de 32 ans.
Mais le gouvernement mise lui sur la loyauté et les sacrifices de ses agents: "Ceux qui viendront seront les pionniers", souligne ainsi Sofian Sibarani, l'architecte de la ville.
S.Saleem--DT