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Dix ans après le super typhon Haiyan, qui avait fait plus de 6.000 morts et quatre millions de sans-abri aux Philippines, Agatha Ando, 57 ans, rit à nouveau mais "n'oubliera jamais" cette catastrophe qui a tué son mari.
Le 8 novembre 2013, des vagues semblables à un tsunami avaient submergé le littoral, et des vents d'une violence inouïe rasé des villes entières, dont Tacloban, dans l'île de Leyte.
L'époux de Mme Ando et trois de ses frères et sœurs avaient refusé de quitter la ville. Les quatre étaient morts, de même que quatre de leurs enfants, ensevelis sous les décombres de leur maison située à cent mètres de la mer.
Leurs corps mutilés avaient été enveloppés à la hâte dans des couvertures humides et une bâche récupérée, puis enterrés dans les environs.
"J'arrive à nouveau à rire mais je ne les oublierai jamais", explique Mme Ando, 57 ans, qui doit sa survie au fait d'avoir obéi aux consignes officielles demandant aux habitants de se réfugier à l'intérieur des terres.
Dix après, le caveau familial est l'un des rares vestiges de cette sinistre journée.
Tablocan, localité de 280.000 habitants déjà parmi les plus pauvres de l'archipel, n'était plus qu'un champ de ruines après le passage de Haiyan.
Elle ressemble aujourd'hui à nouveau à n'importe quelle autre ville philippine, avec ses rues encombrées et ses restaurants animés.
Une digue de 18 km a été construite le long de la côte pour la protéger contre les futures marées de tempête.
"Je pense que nous nous sommes relevés", estime le maire, Alfred Romualdez. Mais il ajoute que les habitants de Tacloban "n'oublieront jamais".
- Un millier de disparus -
Les Philippines subissent en moyenne une vingtaine de typhons chaque année, mais en 2013, l'archipel n'était pas pour autant préparé à faire face à une tempête d'une telle puissance, avec des rafales de vent de 315 km/h.
Des bâtiments jugés suffisamment sûrs pour servir de centres d'évacuation sur les îles de Leyte et de Samar avaient été noyés par des vagues atteignant jusqu'à cinq mètres de haut.
Le typhon avait fait au moins 2.713 morts dans la ville - sur un total national de 6.300. Et dix ans plus tard, un millier de personnes restent portées disparues.
"Le gouvernement national et les autorités locales ont tiré beaucoup d'enseignements de cette catastrophe", estime M. Romualdez, "mais il en reste encore beaucoup, beaucoup d'autres à tirer".
Depuis Haiyan, le pays a investi dans des systèmes d'alerte, des technologies de messagerie et des applications afin d'identifier les zones dangereuses.
Les alertes météorologiques sont émises plus tôt et dans les langues locales, et les évacuations préventives sont une pratique courante.
- Changement de mentalité -
"L'état d'esprit a changé", affirme Edgar Posadas, directeur du bureau de la défense civile à Manille.
Les secours et la prévention sont désormais gérés par les autorités locales, ce qui permet, en cas de catastrophe, une réaction plus rapide qu'à l'époque où tout dépendait du gouvernement national, explique M. Posadas.
Ces changements ont permis de limiter le nombre de morts depuis Haiyan.
En 2021, le super typhon Rai a endommagé ou détruit près de deux fois plus de maisons que Haiyan, mais le nombre de morts a été inférieur à 500, selon des données officielles.
La plupart des personnes tuées à Tacloban vivaient près de la mer, dans des baraques en bois et en tôle ondulée.
Depuis, le gouvernement a démoli de nombreux bidonvilles, et quelque 14.000 familles ont été relogées plus loin de la côte
Rosie Boaquena, 63 ans, a déménagé à 13 km du centre de Tacloban. Mais deux de ses fils ont choisi de rester dans leur cabane au bord de la mer pour être plus proches de leur travail.
Mme Ando s'est quant à elle vu attribuer un logement dans un quartier vallonné où elle n'a jamais dormi. Elle a préféré reconstruire sa maison sur le même terrain, près de la mer, où elle a passé sa vie et a tous ses souvenirs.
Mercredi, jour du dixième anniversaire de la catastrophe, elle ira prier autour de la fosse commune avec sa famille et ses voisins. Six de ses proches sont toujours portés disparus et présumés morts, et l'un de ses fils est resté handicapé à vie à cause de la tempête.
"A l'époque, nous ne savions pas ce qu'était une tempête", se souvient-elle. "Aujourd'hui, dès qu'il y a un typhon, nous évacuons immédiatement".
C.Akbar--DT