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Du plastique recyclé dans le rasoir: le groupe Bic, fabricant de stylos, rasoirs et briquets jetables, tente timidement de corriger son image d'incarnation d'une consommation peu soucieuse de la ressource.
Deux tas de manches de rasoirs sont posés côte-à-côte et rien ne les distingue, hormis la nuance d'orange, un peu moins franche pour celui de gauche. Et pour cause, il contient du polystyrène recyclé, en provenance de réfrigérateurs.
"La couleur ne sera pas la même, mais pour le consommateur, ça sera un produit qui restera satisfaisant", estime jeudi Sophie Legrand, directrice de l'usine Bic de Longueil-Sainte-Marie (Oise), où 200 salariés produisent quotidiennement 2,8 millions de rasoirs.
Le groupe Bic, numéro un mondial des briquets et numéro deux des stylos, s'est fixé comme objectif d'incorporer 20% de plastique recyclé dans l'ensemble de ses produits d'ici 2025, et 50% d'ici 2030.
Pour les rasoirs, le procédé industriel est en phase d'essais pour un démarrage de la production courant 2024.
"Faire un rasoir sans aucun plastique, aujourd'hui, on n'a pas la solution", dit Mme Legrand, évoquant le surcoût que représenterait un rasoir avec un manche en bois, alors que l'usine exporte 90% de sa consommation, vers l'Europe, mais également "en Afrique, au Moyen-Orient, qui sont très sensibles au prix".
L'usine de Longueil-Sainte-Marie a fêté jeudi ses 50 ans, devant de hauts dirigeants du groupe et quelques visiteurs, qui ont pu observer les douze étapes successives pour fabriquer les 7 à 8 millions de lames produites chaque jour, à partir des bobines de "feuillard", 50 kilos d'acier enroulé, qui vont donner environ 200.000 lames chacune.
Affutage, découpe, traitement chimique, avec dépôts de chrome pour améliorer la solidité de la lame, puis de téflon pour améliorer sa glisse: dans un bocal, les contrôleuses inspectent minutieusement toutes les lames, par lots de 1.200, enfilées en baïonnette, à l'affût de défauts qui les rendraient impropres à la commercialisation.
"On investit beaucoup pour augmenter la productivité et intégrer de nouvelles technologies. Entre 2022 et 2024, on a environ 4 millions d'euros d'investissements sur l'usine", explique Mme Legrand.
- La disponibilité du plastique recyclé -
L'incorporation de matière recyclée, elle, ne nécessite pas d'investissement à proprement parler. Les machines sont les mêmes, seuls les procédés industriels sont à ajuster, selon le groupe.
"Toute la problématique, c'est avoir la quantité suffisante de matière recyclée disponible sur le marché, puisqu'il n'y a pas que Bic qui s'engage dans le développement durable, toutes les entreprises le font", assure la dirigeante, qui indique que le groupe est en pourparlers pour contractualiser avec un fournisseur, dont il tait le nom à ce stade.
Lorsqu'on évoque le fait que, même produits à partir de plastique recyclé, les produits resteront jetables, la gêne est palpable.
"Ce ne sont pas des rasoirs à usage unique", rétorque Mme Legrand: certains consommateurs peuvent "utiliser pendant plusieurs mois le même rasoir". Elle souligne que le groupe, à côté des rasoirs monobloc, produit également des rasoirs rechargeables.
Pour Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de Zero Waste France, cela "reste un produit à usage court": "le rasoir jetable, ce n'est pas un produit qui a de sens d'un point de vue environnemental, même si on essaie de le modifier à la marge", juge-t-elle.
Globalement, la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre de Bic sont indirectes, liées notamment à ses approvisionnements en matières premières dont le plastique; ces émissions indirectes ne devraient baisser que de 5% d'ici 2030, par rapport à 2019, selon le plan du groupe.
Selon l'ONG, le prix d'achat devrait intégrer "le coût environnemental" du produit. Si la taxation évolue en ce sens, "ça aura des effets sur le marché, inévitablement", souligne-t-elle.
Car pour l'heure, même en Europe, parmi les régions les plus ambitieuses en matière de développement durable, le rasoir orange et blanc, connu également pour son prix abordable, cartonne, porté par le contexte inflationniste.
"On est à +20% en Europe en chiffre d'affaires, on gagne des parts de marché dans 19 pays sur 20, c'est souvent le cas dans un contexte économique difficile", indique Henri Nicolau, directeur général de Bic pour la France.
Y.Amjad--DT