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Le 5 août dernier, le capitaine Kris Yeary a été réveillé vers 3 heures du matin pour un feu de forêt dans le sud de la Californie. Mais contrairement à d'habitude, les pompiers n'avaient pas été avertis par un appel d'urgence: l'alerte provenait d'une intelligence artificielle.
L'officier a immédiatement rejoint le centre de commandement de San Diego. Sur la flopée d'écrans dédiés à la surveillance de la région, une colonne de fumée émanait du mont Laguna, à environ 70 kilomètres de là.
Le pompier a rapidement envoyé des effectifs pour éteindre les flammes en une heure. Résultat, le feu a dévoré à peine mille mètres carrés et n'a jamais menacé les 1.600 habitants de Pine Valley, la petite localité en contrebas.
"Si l'IA ne nous avait pas alertés, il aurait pu prendre beaucoup d'ampleur", raconte le gradé à l'AFP. "Cela aurait pu être un incendie dévastateur."
Berceau de la Silicon Valley, la Californie est pionnière en matière d'intelligence artificielle, cette technologie qui repose sur des algorithmes capables d'imiter certains comportements humains et de s'améliorer par eux-mêmes.
Elle s'en sert désormais pour lutter contre les feux de forêts, qui ont tué plus de 200 personnes au cours de la dernière décennie et s'aggravent avec le changement climatique.
Depuis fin juin, un logiciel scanne en permanence 1.040 caméras, disséminées sur des points hauts dans tout le "Golden State" par l'université de San Diego, et alerte les pompiers de l'agence de lutte contre les incendies Cal Fire lorsqu'il pense repérer de la fumée.
- Résultats prometteurs -
Les premiers résultats sont si prometteurs que le système équipe désormais tous les centres de commandement d'urgence de l'Etat.
"Nous devançons les appels au 911 (le numéro d'urgence américain, ndlr) dans environ 40 % des cas. Et ça va s'améliorer", explique Neal Driscoll, le chercheur à la tête de la plateforme ALERTCalifornia.
"Notre indicateur de réussite, ce sont les incendies dont vous n'entendez jamais parler", ajoute ce professeur de géologie et de géophysique à l'université de San Diego.
Concrètement, chaque pompier de garde chargé de scruter des dizaines de caméras dans sa zone est désormais assisté par l'IA.
Lorsque le logiciel croit détecter de la fumée, il affiche un petit rectangle rouge sur l'écran, avec un pourcentage indiquant son degré de certitude. A charge ensuite à l'opérateur de confirmer le sérieux de l'alerte.
Car pour l'instant, le robot semble assez paranoïaque: il peut confondre la poussière soulevée par les tracteurs, les insectes qui passent furtivement devant la caméra ou de simples brouillards avec un départ d'incendie.
"Lorsqu'un nuage passe, (...) cela peut projeter une ombre sur le sol et il peut parfois penser qu'il s'agit de fumée", s'amuse Suzann Leininger, spécialiste du renseignement chez Cal Fire.
Grâce à l'oeil expert des pompiers et à leurs retours, l'IA s'améliore continuellement pour affiner ses alertes.
Une aide bienvenue, loin d'effrayer les soldats du feu, contrairement à de nombreux métiers - acteurs et scénaristes d'Hollywood, comptables, caissiers, etc. - qui craignent d'être mis au chômage par cette technologie.
"L'IA n'est qu'un outil de plus pour nous, elle ne remplacera jamais les pompiers", estime le capitaine Yeary.
- Exemple à l'international -
"Cela nous fait gagner du temps pour réagir plus rapidement", abonde sa collègue, Mme Leininger. "Si nous avons (...) des vents très forts, cela peut vraiment faire la différence entre un grand et un petit incendie."
Le dispositif s'annonce précieux, dans un Etat aux premières loges du changement climatique, qui subit des mégafeux de plus en plus voraces.
La Californie a connu 18 de ses 20 plus gros feux de forêt dans les vingt dernières années, et le réchauffement provoqué par la dépendance de l'humanité aux énergies fossiles "est le facteur à l'origine d'une grande partie de cette évolution", selon une étude de l'université UCLA publiée en mai.
Au-delà du "Golden State", ce programme pionnier pourrait servir d'inspiration aux pompiers du monde entier, après l'été le plus chaud jamais enregistré sur le globe, marqué par des incendies dévastateurs au Canada, en Europe ou à Hawaï.
"Au vu des ravages en Grèce et à Maui, je pense que des systèmes comme celui-ci qui fournissent une confirmation précoce sont un pas dans la bonne direction", estime M. Driscoll de l'université de San Diego.
Face à l'ampleur de la menace, le scientifique a choisi d'accorder un accès public aux données de sa plateforme, pour que d'autres entreprises ou universitaires puissent travailler dessus.
"Nous devons tirer parti de tous nos atouts et travailler ensemble, car les extrêmes climatiques nous dépassent tous", conclut-il.
R.El-Zarouni--DT