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L'incendie d'un centre de stockage de déchets près de Marseille, pendant un mois et demi, a provoqué une pollution digne de celle de Pékin, dévoilant au grand public des installations très peu contrôlées au fonctionnement opaque.
A Saint-Chamas, au bord de l'étang de Berre, le maire Didier Khelfa ne décolère pas: il avait vu les déchets s'accumuler dans l'entrepôt de Recyclage Concept 13, sans aucun tri, jusqu'à en toucher le plafond.
L'élu avait "tiré la sonnette d'alarme" dès avril, dénonçant auprès de l'Etat les "dérives" de cette entreprise autorisée à stocker 990 m3 de déchets seulement. "Là on est à 20.000, 30.000 m3!", s'indignait-il début janvier auprès de l'AFP, alors que le feu, déclenché le lendemain de Noël, couvait encore.
Relancée à plusieurs reprises par l'élu et des associations, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) avait inspecté le site en septembre. Résultat: des "non-conformités", notamment en termes de sécurité, et un "dépassement de seuil d'enregistrement nécessitant une régularisation".
Le 14 décembre, la préfecture mettait en demeure RC13 d'évacuer les "volumes de déchets excédentaires" pour "limiter le risque d'incendie", avec un mois pour se mettre en conformité.
Trop tard? Le 26 décembre, un incendie "sans précédent", selon les pompiers, se déclenchait dans l'entrepôt, asphyxiant durablement les habitants de Saint-Chamas. Selon Atmosud, qui surveille la qualité de l'air dans la région, les niveaux de particules fines étaient comparables à ceux de "Pékin les jours de pics".
- "Des boeufs obèses" -
Les incendies de centres de tri sont fréquents, selon l'association écologiste "Robin des bois", qui en a recensé 128 en 2020 en France sur des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
Le phénomène s'est accentué à partir de 2018, relève Jacky Bonnemains, porte-parole de "Robin des bois", quand la Chine, premier importateur mondial de déchets, a "fermé ses portes aux poubelles de l'Europe", faisant enfler des décharges françaises déjà pleines.
Les petites installations destinées aux professionnels, comme celle de Saint-Chamas, relèvent d'un simple régime de déclaration sur internet. Et elles "gonflent très vite, (...) elles commencent comme des grenouilles et finissent comme des boeufs obèses", regrette M. Bonnemains.
Cette accumulation dans des entrepôts non adaptés --celui de Saint-Chamas ne disposait pas de borne à incendie par exemple--, la présence de déchets instables et inflammables et le manque de surveillance des sites constituent un cocktail propice aux incendies, criminels ou non. Pour le sinistre de Saint-Chamas, une enquête a été ouverte au parquet de Marseille.
"Ces gens n'ont rien de professionnels du déchet, à la base ce sont souvent de petites entreprises de travaux publics", poursuit M. Bonnemains. RC13 s'est ainsi enregistrée au greffe en 2019 comme "exploitant de gravières et sablières".
"Dans ce domaine il y a beaucoup de margoulins, qui ne voient que l'appât du gain", dénonce le représentant de Robin des Bois. Un appât que reconnaît la responsable commerciale de RC13, rencontrée par l'AFP sur le site en janvier: "Il fallait bien qu'on fasse de la trésorerie, donc oui, on faisait rentrer des déchets", assurant avoir prévu de les trier "dans un second temps". Jointe par l'AFP, la responsable de l'entreprise n'a pas souhaité s'exprimer.
- Système "mafieux" -
Pour Richard Hardouin, président de France nature environnement dans les Bouches-du-Rhône, ces sociétés "n'ont aucune intention de respecter la loi, ça casserait leur modèle économique qui est d'acheter des déchets à bas prix pour ensuite les enfouir au lieu de les trier et les valoriser".
Et de dénoncer un système "mafieux" et ces sociétés qui "organisent leur insolvabilité, n'étant pas propriétaires des terrains ni des locaux et ne déclarant presque aucun bénéfice".
Selon plusieurs sources, l'Oclaesp (les gendarmes de l'environnement) enquête depuis des mois sur Recyclage concept 13 et d'autres sociétés similaires. Contactés par l'AFP, ces limiers spécialisés n'ont pas souhaité communiquer.
"C'est tentaculaire", affirme M. Hardouin: "Rien que dans les Bouches-du-Rhône, il y aurait sept entreprises analogues, en irrégularité manifeste, nous a dit la Dreal". Un chiffre forcément sous-estimé, selon lui, "puisqu'il n'y a même pas un recensement des déclarations des ICPE à jour par la Dreal, qui nous a dit +on n'a pas les moyens+".
Les contrôles des ICPE sont eux aussi insuffisants, selon les associations, et les mesures qui en découlent trop lentes. A Saint-Chamas, même après l'incendie, les autorités ont été confrontées à des délais imposés avant de pouvoir démolir le bâtiment puis évacuer les déchets.
"Les procédures de mise en demeure sont assez contraignantes parce c'est un exploitant privé, fut il défaillant, irrespectueux des réglementations", expliquait à l'AFP le sous-préfet d'Istres en janvier.
L'affaire est remontée jusqu'à Paris. Des élus ont demandé au gouvernement la suppression du régime de déclaration, qui permet à ces entreprises de s'installer sans contrôle préalable.
La ministre Emmanuelle Wargon, déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, a appelé à des "sanctions exemplaires" et à une "modification du droit des installations classées": mais pas question de soumettre tous les centres de tri à une procédure d'autorisation, ce qui "conduirait en effet à réduire le nombre de centres, mais avec un très gros risque de multiplication des dépôts sauvages".
Pour Jean Sansone, de SOS corruption 13, se pose aussi la question de la responsabilité des producteurs de déchets: "Quand une mairie passe un marché à 6.000 euros la tonne par exemple, au lieu des 10.000 euros officiels, elle sait que les déchets ne vont pas être traités dans les règles". Selon la loi, toute structure est responsable des déchets qu'elle produit.
F.Chaudhary--DT