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Debout sur sa jonque, les yeux plissés en raison des rayons du soleil levant, Vu Thi Thinh ramasse à l'épuisette un bloc de polystyrène flottant sur les eaux calmes de la célèbre baie d'Ha Long.
Ce décor de carte postale, l'un des plus connus d'Asie du Sud-Est, est victime de son succès. Sa beauté est gâchée par des débris de bouées, bouteilles en plastique et autres canettes de sodas qui jonchent la mer, entre les célèbres blocs de calcaire.
Cela fait 10 ans que Mme Thinh parcourt la baie sur son bateau pour tenter de contenir l'impact de l'activité humaine sur ce site vietnamien classé au patrimoine mondial de l'Unesco.
"Je dois faire cinq à sept tours en bateau chaque jour pour tout ramasser", raconte-t-elle à l'AFP.
- Quatre piscines olympiques -
Ces trois derniers mois, 10.000 mètres cubes de déchets - de quoi remplir quatre piscines olympiques - ont été ramassés dans l'eau, selon le département d'administration de la baie d'Ha Long.
La situation est particulièrement critique depuis qu'un conflit récent entre les pêcheurs a conduit certains d'entre eux à se débarrasser de leurs vieilles bouées en polystyrène en les jetant par-dessus bord.
Une vingtaine de barges, huit bateaux et une équipe de dix personnes ont alors été déployés par les autorités en urgence pour tout nettoyer, selon les médias d'Etat.
Au-delà de ce problème ponctuel, "la baie d'Ha Long est sous pression", reconnaît Do Tien Thanh, en charge de la conservation du site.
En 2022, plus de sept millions de visiteurs sont venus admirer les spectaculaires karsts calcaires surmontés d'une végétation tropicale, sur la côte nord-est du Vietnam.
Les autorités en espèrent huit millions et demi cette année.
Téléphérique, parc d'attractions, hôtels de luxe: la ville d'Ha Long a misé tout son développement économique sur le tourisme, mais les conséquences sur l'écosystème marin sont déjà visibles.
Dans la baie, il ne reste plus qu'une centaine de types de coraux, contre deux fois plus à l'origine, selon les défenseurs de l'environnement, même si l'interdiction de pêche dans certaines zones a permis de corriger la situation.
Des populations de dauphins ont été observées, une première depuis 10 ans.
- "Crise de la pollution plastique" -
Les plastiques à usage unique ont été interdits à bord des bateaux de tourisme mais les déchets d'origine humaine restent une préoccupation majeure, car "il y a beaucoup de zones résidentielles près de la baie d'Ha Long", explique le conservateur.
Et la municipalité n'a pas les moyens de traiter correctement tous ces déchets domestiques.
Certains échouent en quantité sur les plages, à la vue de touristes médusés.
Larissa Helfer, une touriste allemande de 21 ans, reconnaît que la baie d'Ha Long est magnifique, mais que le problème des déchets est l'un des souvenirs les plus marquants de son voyage au Vietnam.
Normalement, on devrait se dire: "Regardez la vue! Regardez les villages de pêcheurs", souligne-t-elle auprès de l'AFP.
Mais ici, "vous devez parler des déchets, (vous dites) +Oh mon dieu... regardez les bouteilles en plastique et les choses dans la mer+. Et cela vous rend triste".
"Mes clients lisent dans les médias que la baie d'Ha Long est magnifique, mais lorsqu'ils voient les nombreux déchets flottants, ils ne veulent plus s'y baigner ou faire du canoë et ils hésitent à recommander à leurs amis et à leur famille de venir", reconnaît Pham Van Tu, un guide local.
La croissance économique rapide, l'urbanisation et l'évolution des modes de vie dans le Vietnam communiste ont entraîné une "crise de la pollution plastique", selon la Banque mondiale.
Un rapport publié en 2022 a révélé que le pays faisait partie des cinq plus grands pollueurs des océans au monde, avec 3,1 millions de tonnes de déchets plastiques produits chaque année, dont au moins 10% finissent dans l'eau.
Ce chiffre pourrait plus que doubler d'ici 2030, prévient l'institution.
Sur son bateau en bois, les déchets s'accumulent autour de Mme Thinh qui se souvient d'une baie très différente lorsqu'elle était enfant, il y a 50 ans.
"Cela avait une autre allure", dit-elle.
"Bien sûr, ce travail me fatigue et me met en colère", admet-elle. "Mais nous devons le faire".
C.Masood--DT