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Un tour d'Europe de Tallinn à Athènes: la goélette scientifique Tara a largué les amarres de Lorient (ouest de la France) dimanche pour un périple de plus de 25.000 km destiné à mieux comprendre l'impact des pollutions humaines sur le monde invisible de l'océan.
Le navire conçu par l'explorateur Jean-Louis Etienne a quitté son port d'attache au son du bagad et sous les applaudissements d'une foule nombreuse, venue acclamer ces chercheurs-navigateurs.
"La beauté de cette expédition, c'est qu'on ne sait pas ce qu'on va trouver", sourit Colomban de Vargas, directeur scientifique de la mission, accoudé sur le pont du bateau-laboratoire.
Il s'agit, selon lui, d'étudier "la biodiversité invisible à l'interface terre-mer et à l'échelle européenne" afin de "compléter la grande fresque de l'océan" débutée depuis quinze ans par Tara.
Lors de ses précédentes expéditions, la goélette scientifique a, en effet, déjà réalisé des centaines de prélèvements de micro-organismes marins (virus, bactéries, prostites, animaux, etc.), essentiellement en haute mer. Elle s'était moins intéressée aux écosystèmes côtiers, "qui sont très différents et très riches", ajoute le chercheur.
L'originalité de ce périple, passant par l’Atlantique, la Manche, la mer du Nord, la Baltique et la Méditerranée, tient aussi au fait qu'il s'inscrit dans une mission plus large baptisée TREC ("Traverser les côtes européennes").
Une mission qui mobilisera plusieurs centaines de chercheurs jusqu'en juillet 2024, sous l'égide du laboratoire européen EMBL (European Molecular Biology Laboratory), une sorte de CERN de la biologie, basé à Heidelberg en Allemagne.
Car, au-delà de l'exploration de la biodiversité, il s'agira aussi d'étudier comment les polluants (pesticides, médicaments, produits chimiques, etc.) interagissent avec la biodiversité invisible.
"Un des objectifs, c'est de faire une cartographie des différents polluants dans les eaux côtières, et de regarder comment ça influence la diversité microbienne", explique Flora Vincent, directrice de laboratoire à l'EMBL.
- "Monumental" -
Sur des lignes imaginaires le long des côtes européennes, les chercheurs vont procéder à des échantillonnages systématiques de la terre à la mer: dans le sol, dans les sédiments, sur les aérosols marins et terrestres, dans les eaux côtières et en mer. La mission comptera 120 sites d'échantillonnage côtiers, dans 46 régions de 22 pays européens entre 2023 et 2024.
"On sait qu'à des doses très faibles, on observe des effets très grands sur la capacité des organismes à se développer, à se diviser, à survivre", remarque Flora Vincent. "Ainsi, dans un champ, une molécule qui bloque la photosynthèse va être utilisée pour éviter que les mauvaises herbes poussent. Parfois, ces molécules chimiques vont aussi impacter des micro-algues, qui produisent 50% de l'oxygène chaque année."
Les chercheurs de l'EMBL suivront ainsi le trajet de Tara à terre, avec des camionnettes transformées en mini-laboratoires, mais aussi un semi-remorque transportant des outils de recherche scientifique (microscopes, congélateur à haute pression).
En termes de moyens, "c'est monumental", souligne Flora Vincent. Les chercheurs de l'EMBL sont plutôt réputés être "des rats de laboratoire" mais "il y a une vraie prise de conscience de la nécessité d'aller voir ce qu'il se passe dans l'environnement naturel", dit la chercheuse spécialisée en recherche environnementale.
Lors de la présentation de la mission en mars, Edith Heard, la directrice générale de l'EMBL, avait comparé l'expédition à celle menée au XIXe siècle par Charles Darwin, père de la théorie de l'évolution, sur le navire Beagle. "Je pense que ça va donner lieu à plein de découvertes" voire "peut-être même des nouvelles théories", avait lancé la scientifique.
Lors de sa dernière expédition, terminée mi-octobre 2022, Tara avait parcouru 70.000 km autour du globe pendant près de deux ans, réalisant des milliers de prélèvements de micro-organismes dont l'analyse doit permettre de mieux comprendre le fonctionnement du plancton océanique.
F.El-Yamahy--DT