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"On va pas cracher dans la soupe": à Flamanville (Manche) les 11 ans de retard cumulés du chantier de l'EPR sont considérés par beaucoup d'habitants comme une "aubaine" pour l'emploi, mais certains, sous couvert d'anonymat, s'indignent du coût de ce réacteur nouvelle génération.
"Pour nous, c’est quand même une très bonne nouvelle. (Le chantier) nous apporte du monde", explique Patricia Typhagne, 52 ans, responsable d'un salon de coiffure qui emploie deux autres personnes dans ce village côtier de 1.800 habitants aux coquettes maisons de granit.
"Clairement, c'est plutôt une bonne nouvelle, commercialement. C'est une aubaine de pouvoir travailler ici, encore plus si le chantier prend du retard", confirme Cyril Laniepce, 33 ans, gérant de l'hôtel-restaurant de la Falaise, tout proche du chantier où travaillent 2.800 personnes.
"Tous les commerçants travaillent très très bien", ajoute le propriétaire de cet établissement face à la mer.
Nichée au pied d'une falaise, la centrale nucléaire de Flamanville, qui compte deux réacteurs en service et un en construction, n'est pas visible du village. Seul le nombre de pylônes et câbles à très haute tension laisse deviner sa présence.
"C'est sûr que c'est de l'emploi et les habitants ont des locataires hors saison. On s'acharne sur cet EPR mais pour de l'électricité pas chère, je trouve qu'il commence à coûter cher", ironise Léon Boni, 47 ans, un technicien du spectacle dont la maison secondaire arbore un drapeau "nucléaire non merci", et le véhicule un autocollant "stop EPR", des slogans rares dans ce bout du monde où le nucléaire est un pilier économique avec également l'usine de retraitement de la Hague à 25 km de Flamanville et celle de sous-marins nucléaires de Cherbourg, à même distance.
EDF a annoncé le 12 janvier un énième retard sur le chantier du réacteur de Flamanville lancé fin 2007, pour une mise en service en 2012. Le chargement du combustible est désormais annoncé pour le second trimestre 2023.
- "La honte de l'Europe" -
Des fissures dans le béton en 2008 aux soudures actuellement en train d'être refaites, en passant par les anomalies sur la cuve, le chantier n'en finit pas d'accumuler les problèmes techniques et le coût est monté à 12,7 milliards d'euros selon l'estimation d'EDF au 12 janvier. En 2006, ce réacteur très puissant de 1.650 MW était annoncé à 3,3 milliards d'euros.
Cette flambée n'inquiète-t-elle pas les Flamanvillais? "On n'en entend pas parler dans mon magasin", assure Mme Typhagne.
"Un retard comme ça, faut pas s'en plaindre. Ici on n'a pas le droit. Quand on est à 300 km, on peut peut-être penser que c'est ça qui fait monter la facture d'électricité mais ici ça nous offre un confort de vie incroyable", explique de son côté le restaurateur soulignant les infrastructures sportives et culturelles nombreuses pour une zone rurale.
Un peu plus loin, sous couvert d'anonymat, l'enthousiasme est moindre. "De manière égoïste, je vous dirais que moi ça m’avantage bien en soi parce que je travaille à l’EPR. Mais de manière vraiment responsable, je dirais que c’est un fléau. L’argent qu’on perd sur l’EPR est absolument incroyable", confie un jeune homme d'une vingtaine d'années avant de prendre son car.
"C'est de l'argent qui pourrait être dépensé ailleurs", renchérit une assistante maternelle devant l'école. "C'est bien pour l'emploi mais les entreprises qui font mal leur boulot, c'est inadmissible", ajoute une employée en écoles d'une soixantaine d'années.
Pour Armando, un superviseur de tuyauterie portugais d'une cinquantaine d'années installé au camping de Flamanville le temps d'une mission à la Hague, cet EPR, "c'est la honte de l'Europe".
"On va pas cracher dans la soupe mais il y a un moment, il faut dire stop. Si on avait mis autant d'argent dans les énergies renouvelables, on serait pas à la traîne par rapport à certains pays européens", conclut une retraitée de l'usine de sous-marins nucléaires de Cherbourg qui randonne sur les hauteurs verdoyantes de Flamanville surplombant la mer.
Y.Rahma--DT