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S'élevant gracieusement au-dessus du coassement des grenouilles, un pélican survole au coucher du soleil le lac Karla, en Grèce, qui a triplé de taille après les inondations meurtrières de l'an dernier, au grand dam des agriculteurs locaux.
"Une grande prairie se trouvait ici", se désole à bord de son bateau Yiannis Tsiantos, l'un des rares habitants du village lacustre de Kanalia à posséder encore une embarcation.
"Nous avions l'habitude de venir ici en tracteur pour ramasser des amandes", explique l'homme de 57 ans en dirigeant son bateau le long d'enclos pour animaux et de bosquets en partie détruits, en compagnie d'une équipe de l'AFP. "Maintenant tout est sous l’eau".
Asséché en 1962 pour lutter contre le paludisme avant d'être reconverti en zone humide en 2018 pour parer à la sécheresse, le lac Karla, dans la plaine fertile de Thessalie (centre), est l'un des plus importants réservoirs d'eau en Grèce.
A côté de Yiannis Tsiantos, son ami Apostolos Polymerou, éleveur de moutons, se souvient du "pâturage pour environ 5.000 têtes de bétail" sur ces lieux ravagés par le cyclone méditerranéen Daniel, en septembre dernier.
En quelques heures, l'équivalent de plusieurs mois de pluie s'est abattu sur cette région agricole de première importance.
Ce sont les "pires inondations" de l'histoire de la Grèce, selon le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis. Elles faisaient suite à des incendies dévastateurs qui ont ravagé le pays durant l'été 2023.
Dix-sept personnes sont mortes dans la catastrophe, imputée par les autorités au dérèglement climatique. Des dizaines de milliers d'animaux de ferme ont été noyés, des routes et des ponts ont été détruits.
Les moutons d'Apostolos Polymerou, encore marqués par leur quasi-noyade, souffrent aujourd'hui de stress. Pendant six mois, ils sont restés enfermés dans les bergeries.
"Ils développent des malformations dans leurs poumons et leur foie. Si nous avions su comment cela finirait, il aurait mieux valu les laisser périr", lâche-t-il.
- "Désastre total" -
La tempête Daniel a été suivie d'une seconde, Elias, quelques semaines plus tard, qui a tourné au désastre: les fermiers ont vu leur terres ravagées et leurs troupeaux décimés.
Le village de Sotirio, autrefois bordé de champs de maïs et de coton, se trouve aujourd'hui au bord d'un marais fétide: des champs recouverts d'eaux verdâtres bourdonnantes d'insectes.
Et là où l'eau s'est retirée, il ne reste que de la terre et des tiges flétries.
La famille d'Angelos Yamalis, un agriculteur de 25 ans, a perdu 50 hectares de coton, 30 hectares de blé et 15 hectares de pistachiers.
"Même après le retrait des eaux, nous ne savons pas si ces champs seront productifs", explique-t-il. Et "les nouveaux arbres ne porteront leurs fruits qu'après sept ans".
Le rétablissement de la situation est devenu un casse-tête pour les autorités et les spécialistes de l'environnement et les avis diffèrent sur les mesures à prendre.
- Risque d'épuiser l'aquifère -
Les autorités locales suggèrent le creusement d'un grand canal pour permettre à l'eau de se déverser dans la mer Égée.
Mais une société néerlandaise, HVA, spécialisée dans la gestion de l'eau, a proposé au gouvernement grec de construire des dizaines de petits barrages pour retenir l'eau de pluie.
Pour Miltiadis Gkouzouris, dirigeant de HVA, la Thessalie devrait abandonner la production de coton pendant qu'il est encore temps afin de conserver ce qui reste de ses réserves d'eau souterraines.
"Si nous continuons à pomper l'eau des 30.000 forages de la région, l'aquifère sera épuisé à un niveau tel que l'eau de mer risque d'y pénétrer et il ne sera plus possible d'irriguer quoi que ce soit", estime-t-il.
De son côté, le gouverneur de Thessalie, Dimitris Kouretas, est fermement opposé à l'abandon du coton, une industrie lucrative pour les habitants de la région, selon lui.
"Pour ceux qui croient qu'il faut abandonner le coton en Thessalie, ce sera la guerre", a-t-il récemment averti sur sa page Facebook.
Professeur de biochimie formé à Harvard et élu à son poste en octobre dernier, M. Kouretas rappelle que le coton rapporte 210 millions d'euros à 15.000 familles en Thessalie et représente un produit d'exportation essentiel.
La Grèce est le principal producteur de coton de l'UE (80%), suivie de l'Espagne.
H.El-Qemzy--DT