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Dans un café d'un quartier populaire de Tunis, sept jeunes garçons se penchent avec concentration sur des paris sportifs. Peu avant la présidentielle en Tunisie, ils sont bien plus passionnés par la Ligue des Champions que par l'avenir d'un pays qu'ils voudraient quitter au plus vite.
Mohamed, 22 ans, n'ira pas voter dimanche: "ça ne sert à rien". "La politique, ça ne nous concerne pas, nous essayons juste de vivre au jour le jour", dit ce jeune au physique imposant, qui ne donne pas son nom par crainte d'être arrêté.
Environ un tiers des près de 10 millions de Tunisiens convoqués aux urnes ont moins de 35 ans, selon des chiffres officiels, mais beaucoup se désintéressent du scrutin. Selon une étude publiée en août de l'Arab Barometer, institut qui fait autorité, ils sont 7 jeunes Tunisiens de 18 à 29 ans sur 10 à vouloir émigrer.
"Si on nous donnait immédiatement trois bateaux, personne ne resterait ici", explique à l'AFP Mohamed en embrassant du regard la terrasse du café.
Tous les ans, des milliers de Tunisiens, en majorité des jeunes, tentent la périlleuse traversée de la Méditerranée vers l'Europe. Des milliers d'autres s'envolent pour l'étranger, munis d'un visa d'étudiant ou un permis touristique qu'ils tenteront de prolonger.
Ces dernières années, l'envie d'ailleurs a gagné 46% de la population, selon Arab Barometer, ce qui classe la Tunisie en tête des pays arabes.
En début de semaine, un bateau parti de l'île touristique de Djerba (sud) a coulé à 500 mètres du rivage et au moins 15 Tunisiens ont péri noyés dont des bébés, tandis que deux autres bateaux transportant une quarantaine de candidats à l'émigration étaient interceptés au départ des îles Kerkennah (sud) et de Bizerte (nord).
En 2011, selon Arab Barometer, les Tunisiens n'étaient que 22% à vouloir quitter leur pays, quand la population, essentiellement des jeunes, s'était soulevée pour renverser le dictateur Zine El Abidine Ben Ali, donnant le coup d'envoi des Printemps arabes dans la région.
Une décennie plus tard, les jeunes sont les plus touchés par le chômage avec 41% de sans emploi (face à un taux national de 16%) et 23% chez les jeunes diplômés.
"J'ai seulement 17 ans et quand je vois certains plus âgés qui n'ont rien fait dans leur vie, je me pose beaucoup de questions", explique Ghaith, un lycéen qui voudrait aussi émigrer.
"Ce pays nous a abandonnés. J'ai le Bac, mais avec ou sans, c'est pareil. Pour réussir, il faut une formation pour partir à l'étranger et les formations sont payantes", dit l'un de ses amis également prénommé Mohamed, âgé de 19 ans.
Aucun des jeunes rencontrés par l'AFP n'a communiqué son nom de famille dans un contexte de répression accrue, selon les ONGs, des voix critiques du président Kais Saied, en lice pour un deuxième mandat. Elu démocratiquement en 2019, il est accusé de dérive autoritaire depuis qu'il s'est emparé des pleins pouvoirs à l'été 2021.
"Plus de 170 personnes sont actuellement détenues en Tunisie pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux", selon l'ONG américaine Human Rights Watch (HRW). Ce chiffre inclut des opposants politiques, des hommes d'affaires, des syndicalistes, des militants associatifs et des chroniqueurs politiques.
- "tous partir" -
Slim, travailleur indépendant de 31 ans, estime n'avoir "rien gagné" pendant le premier quinquennat de M. Saied. "Je l'aime bien, il combat la corruption mais personnellement je n'en ai pas profité", lance-t-il.
Selon lui, la population est "fatiguée" d'affronter des difficultés quotidiennes croissantes pour se nourrir ou se déplacer. "Pourquoi pensez-vous sinon qu'ils veuillent tous partir ? Ils prennent la mer tout en sachant qu'ils pourraient mourir".
Quelques jeunes Tunisiens, en particulier des militants de la société civile, s'accrochent à l'espoir de changer le cours des choses.
Souhaieb Ferchichi, 30 ans, membre de l'organisation d'observateurs électoraux I Watch manifestait récemment à Tunis devant le Parlement contre une élection qu'il a qualifiée de "mascarade", après un processus de sélection ayant exclu la plupart des concurrents sérieux de M. Saied.
Salma Ezzine, médecin de 25 ans rencontrée aussi dans la manifestation, s'inquiète de retrouver chez M. Saied "des analogies avec le passé" de la Tunisie sur "la façon dont naissent la dictature".
Mais contrairement aux plus de 1.000 médecins, pour la plupart fraîchement diplômés, partis l'an passé travailler surtout en France ou Allemagne, la jeune femme veut rester.
Pour elle, "les gens doivent comprendre qu'un tel exode contribue à aggraver le problème. Si personne ne reste, qui sera là pour impulser les changements ?"
A.Hussain--DT