AEX
4.1400
Rareté des contrôles, annoncés à l'avance, connivence et "porosité" avec les autorités de tutelle: des défaillances de la supervision du géant des maisons de retraite Orpea accusé de maltraitances ont été mises au jour mercredi devant une commission parlementaire.
Victor Castanet, auteur du livre-enquête Les Fossoyeurs, qui a causé une déflagration en dénonçant la maltraitance dans les Ehpad privés, et Amélie Verdier, directrice générale de l'agence régionale de santé d'Île-de-France, témoignaient mercredi devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
"Les agences régionales de santé ont failli. Elles n'ont pas su ou pas pu répondre à leur mission première, à savoir s'assurer de la bonne utilisation de l'argent public et surtout protéger nos aînés", a dénoncé Victor Castanet, qui évoque dans son livre le "sentiment d'impunité" du groupe Orpea et de sa filiale santé Clinea.
"Ce livre interroge le système actuel de supervision, de contrôle et d'inspection", a reconnu Amélie Verdier, qui a pris l'été dernier la direction de l'ARS, qui supervise 707 Ehpad, dont 45% sont privés, avec 63.000 places en Ile-de-France.
L'audition a confirmé la rareté des contrôles, des inspections qui ne sont que dans un quart des cas "inopinés". Le plus souvent les Ehpad sont prévenus plusieurs jours, voire un ou deux mois à l'avance, a expliqué Mme Verdier.
Depuis 2011, l'ARS Île de France a diligenté 16 inspections dans 14 établissements du groupe Orpea, qui compte 57 établissements avec 5.100 résidents dans la région.
Au niveau national, les dirigeants d'Orpea avaient évoqué la semaine dernière devant la même commission 94 visites et inspections en 2016 (toutes autorités confondues et pour tous ses Ehpad), 75 en 2017, 55 en 2018, 49 en 2019, 18 en 2020 et 10 en 2021.
A la suite de neuf "réclamations" de familles, l'ARS a diligenté une inspection en août 2018 à l'Ehpad Bords de Seine à Neuilly, accusé dans le livre de maltraiter des résidents qui paient entre 6.000 et 12.000 euros d'hébergement chaque mois.
Le plan d'action annoncé ensuite par la direction, la baisse du nombre de réclamations et surtout la crise Covid font que cet Ehpad de luxe ne sera plus l'objet d'inspection avant qu'éclate le scandale en janvier 2022, malgré une "réclamation" d'une famille sur les circonstances suspectes entourant un décès survenu en 2020, qui a abouti à une plainte au pénal pour homicide involontaire.
Avec la crise Covid, l'ARS, qui dispose de 20 inspecteurs et d'un réservoir de 200 professionnels (médecins, pharmaciens, infirmiers...) mobilisables, a "revu et ajusté" à la baisse son programme d'inspection, a observé Mme Verdier.
"Un contrôle qui n'est pas inopiné ne sert à rien", a estimé M. Castanet. "Quand vous prévenez un groupe trois semaines à l'avance, toutes les mesures de correction peuvent être prises".
En outre le contrôle est morcelé: l'ARS ne contrôle que les soins, le département étant chargé de superviser ce qui relève de la dépendance. Elle ne fait que des contrôles des établissements, ne pouvant détecter ce qui pourrait être un "système" organisé au niveau du siège ou les rétro-commissions que le groupe est accusé d'avoir perçu de ses fournisseurs sur des produits réglés avec l'argent public, a reconnu Mme Verdier.
Victor Castanet a mis en cause devant la député la "porosité très forte entre le privé et le public dans ce secteur. Un certain nombre d'anciens hauts fonctionnaires des ARS ont été embauchés par (les groupes privés) Orpea, Korian et d'autres". "Certains anciens inspecteurs travaillent aujourd’hui au sein du groupe Orpea donc connaissent les mécanismes de contrôle, ont un certain nombre de relations encore avec les ARS".
B.Gopalan--DT