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"J'ai choisi ce métier pour être libre": ancien employé de l'Inrae et fils de paysan, Pascal Lemaire, 50 ans, a tout quitté pour se consacrer à la culture de blés anciens en Haute-Loire et valoriser les vertus de ces variétés oubliées.
Dans son champ situé près de Blesle, les épis de blé aux teintes parfois rougeâtres sont clairsemés, les tiges ne sont pas très hautes, reflet de la sècheresse printanière que n'ont pas compensée les pluies récentes.
"A quoi bon se lamenter? C'est la preuve que je laisse faire la nature et que je n'irrigue pas!" lance Pascal Lemaire, sans se départir de son optimisme en faisant visiter sa parcelle, où les insectes -araignées, papillons, sauterelles- sont rois.
Sur ses 36 hectares de terre, il cultive du blé, de l'orge, de l'avoine, du seigle: uniquement des céréales anciennes et "100% auvergnates", précise le paysan aux cheveux grisonnants et à la peau déjà tannée par le soleil de juin.
Rouge d'Alsace, Milanais de Limagne, Trésor du Velay, Megalia: ces noms, plus évocateurs de cépages que de céréales, désignent des variétés "cultivées avant guerre dans nos campagnes". "Puis quand on a mis de la chimie, on s'est dit +ce blé est nul+ alors qu'on aurait pu dire +les engrais c'est nul+" regrette le quinquagénaire.
Après-guerre, face à la nécessité de nourrir la population, des croisements génétiques ont permis d'obtenir des blés modernes plus résistants aux maladies, plus productifs. Le pain pouvait être fabriqué plus vite grâce à une pâte levant plus rapidement.
-Moins de gluten-
Mais ces variétés sont aussi plus gourmandes en engrais et en produits chimiques. Et plus riches en gluten, mal toléré par les organismes.
"Aujourd'hui, on a 50 ans de recul sur ce modèle, on peut en tirer des constatations, il y a des solutions alternatives", veut croire Pascal Lemaire, né à quelques mètres de là, dans la ferme où son père élevait des vaches allaitantes.
Entré à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) en 1994, il y a passé plus de vingt ans, dont une bonne partie à étudier les différents types de blés.
A la mort de son père en 2013, il décide de cultiver le blé ancien sur les parcelles reçues en héritage, avec des semences mises à disposition du public par l'Inrae.
Pour se consacrer à sa passion de la terre, il se met en disponibilité en 2017 jusqu'à sa démission en début d'année: "j'en avais marre d'un système calé sur un modèle agricole unique avec une productivité maximale".
Les blés modernes ne sont pas adaptés à l'agriculture biologique, contrairement aux blés anciens, dit-il, rejetant un modèle qui appauvrit les sols.
"Moi je me plais à faire vivre mon sol avec des rotations (changements de cultures) plus longues, des légumineuses comme la luzerne qui retiennent l'azote et des engrais verts", détaille-t-il.
Sa farine est vendue à un boulanger ainsi qu'à une cinquantaine de particuliers. Un brasseur local soucieux d'utiliser des produits "qui aient du sens" lui achète l'orge pour élaborer sa bière.
"Avec cinquante hectares au lieu de 36, je pourrais avoir un revenu me permettant de vivre", assure le cultivateur.
Le rendement est moins élevé que les blés modernes, mais les charges sont "moins importantes sans engrais" et le blé vendu "jusqu'à trois fois plus cher": environ 450 euros la tonne contre 200 pour les variétés modernes.
Associé à une vingtaine d'agriculteurs, il a constitué un groupement d'intérêt économique et environnemental. "J'incite les autres à observer le blé, c'est la clé: prendre des notes, comparer, venir regarder ses cultures", dit-il.
"Passionné par la paysannerie au sens noble du terme", il balaye les critiques qui l'accusent d'opérer "un retour en arrière contre-productif et passéiste".
"Ma farine est là pour réveiller les sens, rappeler les odeurs de l'enfance et le goût du vrai pain. J'ai envie que les gens se nourrissent bien. Etre paysan, c'est faire vivre son pays. Et c'est comme cela que le métier prend tout son sens".
H.Pradhan--DT