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Abdullah Umari mène depuis sept ans des brebis dans la vallée turque de Mercan. L'homme à la barbe blanche en connaît les versants mieux que quiconque: "Il n'y a que des Afghans ici", lâche-t-il la voix cassée en désignant les crêtes face à lui.
Les bergers afghans comme Abdullah ont pris peu à peu la place des Kurdes, devenus rares dans les montagnes d'herbes et de cailloux de la province de Tünceli (est).
Qu'importe la barrière de la langue: "Nous ne savons pas ce qu'ils font quand ils sont dans les montagnes, mais ils ramènent les bêtes, donc tout va bien", sourit Mustafa Acun, un éleveur de la région qui possède une centaine de bêtes.
A près de 2.000 mètres d'altitude et de longues heures de marche du village le plus proche, la tâche est ingrate et solitaire.
Les bergers se calent sur le rythme des brebis et des chèvres qui préfèrent pâturer la nuit, quand les températures retombent.
Mais quand le jour disparait, les prédateurs ne sont jamais loin.
Abdullah a beau ne jamais quitter sa vieille carabine, il y a deux jours deux de ses bêtes ont été tuées par un ours.
"C'est plein de loups et d'ours par ici, ils attaquent les brebis constamment", lâche Suleyman Ezam, berger de 29 ans au visage tanné par le soleil, arrivé en Turquie en 2015 après avoir laissé en Afghanistan sa femme et un bébé de trois mois.
- Bergers improvisés -
Le jeune père de famille a transité par l'Iran, où il a travaillé sur des chantiers. Puis il a gagné la Turquie, où vivent plusieurs centaines de milliers d'Afghans, et s'est improvisé berger.
La paye est bonne, entre 8.000 et 15.000 livres turques par mois, soit 440 à 820 euros, deux à trois fois et demie le salaire minimum. Mais elle reste insuffisante, même en temps de crise, pour créer des vocations chez les jeunes de la région.
"Même nos enfants ne veulent pas ni ne peuvent faire ce travail", assure Mustafa Acun, admiratif du courage des bergers afghans.
Pourtant, même ici dans ces vallées perdues, l'hyperinflation et la dévaluation de la livre turque se font sentir.
Le lait des brebis et des chèvres ne rapporte plus assez et certains éleveurs songent à envoyer une partie de leur troupeau à l'abattoir.
Pour les bergers qui transfèrent une grosse partie de leurs gains à leurs proches, en Afghanistan, le salaire de leur sueur fond une fois convertie en dollars.
Dans ces conditions, Hafiz, jeune berger afghan de la vallée, rêve à de nouveaux horizons. Aux journalistes de l'AFP, il demande: "Sais-tu comment je peux aller au Canada? As-tu des contacts?"
I.Mansoor--DT