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Dans son magasin à quelques encablures du mur érigé entre les Etats-Unis et le Mexique, Ida Pedrego soupire face à la valse des candidats à la Maison Blanche venus parler d'immigration en Arizona.
Le mois dernier, cette Américaine a vu défiler Kamala Harris dans sa ville de Douglas. Quelques photos le long de l'immense barrière, un discours et la démocrate est repartie. Même manège en août pour Donald Trump, à environ une heure de route.
"Le problème, c'est qu'ils viennent et restent ici pendant quelques minutes", regrette la commerçante. "Que peut-on voir, que peut-on apprendre en si peu de temps ?"
Parmi les Etats clés capables de faire basculer la présidentielle en novembre, l'Arizona (sud-ouest) est le seul à partager une frontière avec le Mexique. Il sert donc de vitrine aux débats enflammés sur l'immigration.
De quoi lasser Mme Pedrego, horrifiée par la rhétorique violente de Donald Trump, qui martèle sa vision apocalyptique d'une Amérique "occupée", où une invasion de migrants aurait fait augmenter la criminalité - ce qu'aucune statistique officielle ne montre.
Douglas, où les forces de l'ordre sont très visibles, "est un des endroits les plus sûrs (...) Il y a rarement une fusillade", témoigne cette électrice démocrate de 72 ans, qui ne ferme pas sa voiture à clé.
"Nous n'avons pas la criminalité que les gens semblent associer avec la vie à la frontière", confirme le maire républicain, Donald Huish.
- "Ballon de foot" -
Ce conservateur "vieille école" dénonce aussi bien le sensationnalisme de Donald Trump que certains discours démocrates, qu'il estime laxistes - avant d'être vice-présidente, Kamala Harris souhaitait décriminaliser les traversées illégales.
"Les gens ne comprennent pas la frontière", soupire le sexagénaire, natif de Douglas.
Dans cette ville poussiéreuse de 16.000 âmes, l'Espagnol se mêle à l'Anglais et beaucoup ont de la famille à Agua Prieta, de l'autre côté du mur. Avec ses 100.000 habitants et ses usines, son dynamisme économique profite largement à Douglas.
L'afflux record de migrants enregistré sous le mandat de Joe Biden a longtemps épargné le coin, mais lorsqu'il l'a finalement rattrapé l'hiver dernier, la cité s'est organisée de bonne grâce.
Les migrants ont été hébergés dans une église, ou transférés chaque jour en bus ailleurs aux Etats-Unis. Entre septembre et mars, Douglas a vu passer 8.400 personnes.
Leur prise en charge a dégarni les effectifs de la police aux frontières, habituellement dédiés à la lutte contre le trafic de drogues, discrètement enraciné depuis des décennies.
Donald Huish aimerait plus de moyens, comme le promettait la loi bipartisane sur l'immigration que le Congrès avait conçue au printemps. Mais le texte a depuis été enterré. "C'est frustrant", lâche le maire.
L'immigration est utilisée "comme un ballon de foot politique" que les partis se renvoient, estime-t-il. "J'aimerais que ça s'arrête et qu'on sorte l'arbitre vidéo, pour voir ce qui est le mieux."
- Conséquences mortelles -
Lors de sa visite à Douglas, la première à la frontière depuis trois ans, Kamala Harris a accusé Donald Trump d'avoir tué cette loi pour mieux servir sa campagne.
Elle a promis de ressusciter le texte en cas de victoire et de maintenir le décret pris par Joe Biden cet été, qui a quasiment fermé la frontière.
Mais comme de nombreux Américains, Timm Klump n'a pas confiance en la vice-présidente. Sur son ranch qui borde le mur frontalier renforcé par Donald Trump, certaines portes conçues pour évacuer l'eau en cas de fortes pluies sont ouvertes "depuis 2021".
"Pour moi, c'est un message pour dire: +hey, l'administration précédente a construit un mur, nous ne l'entretenons pas. Nous voulons juste détruire ce qu'ils ont fait, entrez autant que vous voulez.+", estime cet éleveur républicain.
Le trentenaire croise régulièrement des migrants assoiffés et parfois des cadavres. Des victimes du désert honorées chaque mardi à Douglas, lors d'une veillée où des dizaines de croix blanches sont disposées sur les trottoirs.
A la tête de l'association Frontera de Cristo, Mark Adams y assiste avec assiduité.
Depuis 25 ans qu'il aide les migrants à Douglas, ce presbytérien a vu le mur s'étoffer sous chaque présidence. Mais le Congrès s'est toujours révélé incapable de réformer le système d'immigration, pour augmenter à la fois la sécurité à la frontière et les voies légales de séjour aux Etats-Unis.
"Au lieu de s'occuper des réalités profondes aux racines des migrations, (...) nous poursuivons une politique qui sème la mort", soupire-t-il.
I.Menon--DT