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Dans un immeuble délabré de Beira, grande ville mozambicaine détruite à 90% par un cyclone il y a cinq ans, une dizaine de menuisiers scient et poncent des cercueils fabriqués à partir des palettes abandonnées dans le port. Ici, plus qu'ailleurs, la mort coûte cher.
Le pays lusophone d'Afrique australe, l'un des plus pauvres au monde, est confronté à une intense sécheresse liée au phénomène El Nino et à d'autres intempéries ravageuses, qui contribuent à faire flamber les prix.
Un service d'enterrement ordinaire peut y atteindre 200.000 meticals (près de 3.000 euros), ce qui est inabordable pour beaucoup, explique la patronne, Amelia Armando Machava, 56 ans, dans un nuage de sciure et de poussière.
Car les trois-quarts des Mozambicains vivent avec l'équivalent de moins d'un euro par jour.
Le cercueil seul peut coûter entre 6.000 et 100.000 meticals (de 87 à près de 1.500 euros). Et ceux de Mme Machava sont parmi les moins chers du marché.
Des coups de marteaux rythmés animent l'atelier, où les rares outils électriques, une scie bricolée et une perceuse pour les poignées des cercueils, bourdonnent par intermittence.
Une scierie rouillée gît inutilisée dans un coin, couverte de toiles d'araignée, vestige d'une époque où l'économie de Beira, située 700 kilomètres au nord-est de la capitale Maputo, était plus robuste.
Le bâtiment en piètre état, qui date d'avant l'indépendance du Portugal en 1975, témoigne de la résilience de sa propriétaire.
Mme Machava a lancé l'entreprise il y a 25 ans avec un menuisier municipal qui ne venait travailler que lorsqu'elle avait les moyens de le payer, une commande après l'autre.
Cette ancienne boulangère devenue couturière mettait alors de côté de qu'elle pouvait. "C'est comme ça que je me suis lancée dans la fabrication de cercueils".
"Je ne connaissais rien à la menuiserie mais je me suis débrouillée". Au début, l'entreprise fabriquait une ou deux boîtes par semaine. Son entreprise s'est fait connaître, aujourd'hui elle en produit des dizaines.
- Dignité des morts -
Un marché animé traverse l'atelier faiblement éclairé. Des femmes portant des paniers de fruits et de friandises se faufilent entre les menuisiers affairés, proposant des rafraîchissements.
De jeunes garçons arrivent aussi avec des paquets de plastique recyclé et de polystyrène qui seront façonnés en fleurs délicates pour orner les cercueils finis.
En 2021, le Mozambique a connu des fortes hausses de prix, qui ont lourdement frappé les citadins, dont 80% sont pauvretés.
Les crémations sont passées de 500 à 5.000 meticals (de 7 à 73 euros environ) et les frais de réservation des tombes ont triplé, tout comme le prix des pierres tombales.
"Les gens n'ont pas l'argent mais ils doivent pouvoir enterrer leurs morts", explique la patronne.
En temps de crise, comme lors du cyclone Idai en 2019 qui a fait des centaines de morts, elle offre des cercueils aux familles qui n'en ont pas les moyens.
"Quand je sais que quelqu'un galère, je ne leur présente pas de facture. Il faut bien aider".
"Nous avons survécu à toutes sortes de catastrophes et de récessions", dit la robuste quinquagénaire, affirmant que l'atelier n'est pas seulement une entreprise mais "notre manière de faire face".
"Nous aidons les gens à naviguer la détresse de perdre quelqu'un de cher", dit-elle. C'est aussi "notre façon de transmettre à nos défunts la dignité que la vie ne leur a peut-être pas accordée".
I.Uddin--DT