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"Le coeur toujours un peu glacé", "une forte angoisse", "un sentiment de solitude": haut fonctionnaire, issu d'une famille nombreuse catholique, Emmanuel raconte comment les comportements incestueux d'une "mère dragon" ont à jamais perturbé sa famille, sa santé, sa vie.
Emmanuel, 54 ans, a témoigné devant la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui rendra publiques jeudi ses préconisations pour protéger les enfants contre l'inceste et les violences sexuelles.
"Tout le monde disait du bien de cette mère de famille nombreuse, bibliothécaire bénévole", se souvient-il pour l'AFP. Une mère au foyer d'une "portée" de cinq enfants, faisant la catéchèse, active dans les associations de parents d'élèves.
Pourtant cette mère en apparence au-dessus de tout soupçon est abusive. "Des violences physiques et psychologiques avec les trois aînés, des comportements incestueux avec les deux derniers" et avec son petit-fils qu'elle recueille chez elle après la mort de sa fille aînée, selon Emmanuel.
Les comportements incestueux - exhibitionnisme, toilette appuyée des parties génitales, attouchements, manie du thermomètre rectal, etc - se sont poursuivis entre ses 7 et 18 ans, raconte Emmanuel, qui a aussi témoigné devant la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase) des agissements d'un aumônier catholique de son collège.
"Il y a une emprise de la mère. C'est asymétrique, même si elle n'a pas la force physique. On est sidéré, on se décompose. On se voit comme une poupée de chiffon qui se laisse faire. Et puis après, on culpabilise".
"Longtemps je n'ai pas parlé car j'étais un homme. C'aurait été un signe de vulnérabilité, de faiblesse".
La vision du film "Festen" qui évoque une famille broyée par l'inceste, et la naissance de sa fille en 1998 réactivent des émotions enfouies. "Être parent n'est pas simple pour une victime d'inceste. J'ai longtemps hésité à devenir père. On a peur de transmettre aux enfants".
"On a peur de donner le bain, car l'inceste se passe souvent dans la salle de bain, la scène de crime. Est-ce que je vais avoir des gestes déplacés? Quel parent vais-je être?", se demandait-il alors.
"Ayant été abusé, j'ai du mal à être tactile avec mes enfants", explique ce père de deux enfants de 16 et 23 ans, dans le jardin de sa maison de l'ouest parisien.
A cette époque, il entame cinq ans de psychothérapie et part à la recherche de l'histoire de ses parents. Il découvre que sa mère, "fille naturelle", a elle-même été agressée sexuellement par son père adoptif. "C'est une malédiction qui se prolonge, une lignée incestueuse", dit-il.
- "emprise maléfique" -
Enfant martyre devenue bourreau, sa mère refuse d'admettre ce que son fils adulte lui dit. "Elle disait que je mentais, que j'étais manipulé par mon psychothérapeute. La mort de mon père m'a libéré de son emprise maléfique. J'ai cessé de la voir", dit-il.
Mais ce vécu, "c'est comme un passager clandestin qu'on embarque avec soi, toute sa vie on devra vivre avec".
Son "enfance bafouée" lui remonte parfois par "flashbacks". Des pensées intrusives, un sentiment de désespoir, des idées noires obsédantes, qui poussent à l'addiction et à la tentation suicidaire. "Il faut faire disjoncter" son cerveau, dit-il, évoquant la tentation de "s'anesthésier", d'"oublier" avec des médicaments ou de l'alcool.
"Cela crée des pathologies chroniques et des addictions. On dort mal, on a des cauchemars, une hypervigilance qui s'active pour éviter d'être attaqué".
"On est surinvesti dans le travail jusqu'à l'épuisement. On finit par s'écrouler". C'est ce qui est arrivé à cet énarque, tombé en dépression profonde après un flashback. "Un mot, quelque chose dans la météo, une voix qui vous paraît semblable et vous replongez dans le passé".
Des comportements dont témoignent aussi d'autres victimes d'inceste, ses "frères et soeurs de misère", qu'il retrouve lors de groupes de parole organisés par l'association Le Monde à travers le Regard.
Témoigner devant la Ciase l'a de nouveau bouleversé et il est suivi par un psychiatre spécialisé dans la méthode dite EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) qui consiste à "reprogrammer" le cerveau par des mouvements oculaires. "190 euros la séance d'une heure, je suis obligé d'espacer les séances", dit-il, regrettant l'insuffisance de parcours de soins publics.
F.Chaudhary--DT