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Clouée depuis trois semaines sur son lit au sous-sol d'un hôpital de Mykolaïv, pilonnée par l'artillerie russe, Sofia, 13 ans, a encore des éclats de métal dans le crâne malgré trois opérations, mais garde le sourire et des rêves plein la tête : jouer de la guitare et devenir peintre.
Après des semaines terribles pendant lesquelles l'armée russe a tenté en vain de faire sauter cette ville-verrou sur la route d'Odessa, plus grand port d'Ukraine, ces derniers jours la menace semble s'éloigner. Le front a même sensiblement reculé, avec une contre-offensive ukrainienne sur Kherson, à quelque 80 km au sud-est, seule ville d'importance dont l'armée russe ait revendiqué la prise totale depuis le début de son invasion de l'Ukraine le 24 février.
Et, bien que des autocars jaunes quittent chaque matin la ville en direction de l'ouest pour mettre à l'abri des dizaines de personnes, dont beaucoup d'enfants, les habitants se prennent à espérer un retour à une vie presque normale.
En ce dimanche, un militaire ukrainien qui dit se prénommer Sacha, au visage masqué par un foulard, a même trouvé le temps de venir acheter un grand bouquet de fleurs pour sa mère. "Les gens se sentent plus en sécurité maintenant", observe-t-il, "l'horizon commence à se dégager".
S'il y a encore des alertes aux bombardements aériens, les sirènes ne troublent plus guère les badauds, de plus en plus nombreux dans les rues, les marchés ou dans les files d'attente devant les distributeurs de billets.
L'annonce vendredi par l'armée russe qu'elle concentrait désormais ses efforts sur l'est du pays ne rassure pas pour autant Irina Nalivaïko, 21 ans, qui se promène l'air insouciant, smartphone à la main, sur l'une des principales avenues.
"Nous avons de la famille là-bas. Même s'ils bombardent d'autres villes que Mykolaïv, c'est toujours l'Ukraine", souligne-t-elle.
- "Situation un peu stabilisée" -
C'est l'une des frappes de l'armée russe sur un village proche de Mikolaïv, le 5 mars, qui a conduit la jeune Sofia au sous-sol d'un hôpital pédiatrique dont elle rêve de sortir prochainement.
"Elle a reçu des des éclats à la tête dont certains n'ont pas encore pu être enlevés", explique sa mère, Ludmila, au chevet de l'adolescente, allongée sous une couverture bariolée avec pour compagnon un gros nounours blanc, dans le département neurochirurgie délimité par des draps accrochés à un fil par des pinces à linge.
"Maintenant je peux un peu bouger mes bras et mes jambes, pas encore me lever sans l'aide de ma mère, mais j'espère pouvoir bientôt sortir", dit Sofia, stoïque, des pansements aux mains et près de la tempe.
"Elle a déjà subi plusieurs opérations mais des morceaux sont encore là. Sa vie n'est plus en danger mais cela peut nuire à sa santé, c'est pourquoi nous nous préparons à l'opérer de nouveau", indique Irina Tkatchenko, une responsable médicale de l'établissement.
"Je sais que je ne dois pas me laisser aller, sinon je vais craquer", confie Ludmila, qui ravale un sanglot avant de se reprendre, un peu rassérénée par le courage affiché par sa fille.
"Je veux fabriquer une guitare pour apprendre à en jouer", proclame Sofia, "puisque mon petit frère a cassé la mienne". "Mais on t'en rachètera une", lui promet doucement sa mère.
"Je rêve d'être artiste, j'ai étudié la peinture pendant un semestre", poursuit ingénument Sofia, "je veux être une peintre célèbre et vivre de mon art".
De l'autre côté du rideau de draps, le petit Micha, 5 ans, a perdu sa mère dans un bombardement.
La tête enserrée dans un épais bandage, il se lève de son lit encombré de peluches pour laisser ses grands-parents l'aider à s'habiller.
"Nous avons transformé notre sous-sol en abri, divisé en sections de neurochirurgie, chirurgie, traumatologie et néonatalogie", explique Irina Tkatchenko.
"Au plus fort de la guerre, quand nous avons été attaqués par les +fascistes+ - il n'y a pas d'autre mot - nous avons eu 12 enfants admis pour des blessures de gravité variable", affirme le médecin en chef de l'hôpital, Alexander Plitkine, "ainsi que deux que nous n'avons pas pu sauver".
"Maintenant la situation s'est un peu stabilisée", relève-t-il.
Un autre facteur contribue au sentiment de liberté retrouvée de la population de Mykolaiv : le gouverneur de la région, Vitaly Kim, a assoupli les restrictions sur la vente d'alcool en l'autorisant le week-end, mais a prévenu qu'elles seraient rétablies en cas d'excès.
G.Rehman--DT