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Maira Tayyab a envisagé de mendier pour nourrir sa famille et Mohammad Hanif ne cache pas être tourmenté par des pensées criminelles. Au Pakistan, l'inflation galopante accable la population et fragilise le Premier ministre, Imran Khan, à un an des élections.
Maira et Mohammad sont tous les deux trop fiers et honnêtes pour laisser libre cours à leurs impulsions. Mais leurs tourments sont partagés par des millions de Pakistanais.
"Nous ne pouvons pas mendier, nous sommes des cols-blancs", s'insurge Maira, une femme au foyer de 40 ans habitant à Karachi, mégalopole portuaire du sud du Pakistan et capitale financière du pays. "Mais nous ne savons pas comment joindre les deux bouts", avoue-t-elle à l'AFP.
L'inflation a atteint les 10% en 2021, selon la Banque mondiale. Le coût de certains produits de base s'est envolé: le prix du litre d'essence a augmenté de 45% en un an et celui du litre d'huile de cuisine de 130% depuis 2018.
Kursheed Sharif, 50 ans et mère de cinq enfants, est tout aussi désespérée que Maira. "La mort semble la seule alternative à la survie sous ce gouvernement", s'emporte-t-elle, au bord des larmes, dans le misérable logement qu'elle loue à Karachi.
Imran Khan et son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), sont arrivés au pouvoir en 2018 en promettant de mettre fin à des décennies de corruption et de népotisme, et de créer un Etat-providence islamique avec un système de taxation plus efficace pour financer des programmes sociaux.
Mais son incapacité à tenir cet engagement se ressent déjà dans les sondages. Et en décembre, le PTI a subi une retentissante défaite lors d'élections provinciales dans son fief du Khyber Pakhtunkhwa (nord-ouest).
"Le gouvernement se vante de ses prouesses économiques, mais en réalité il est sur le recul et a perdu sa crédibilité", estime Tauseef Ahmed Khan, un commentateur politique.
- Dette extérieure -
Les analystes admettent que l'ancien champion de cricket avait hérité d'une situation très délicate et que la pandémie de Covid-19 ne l'a pas aidé. Mais ils questionnent aussi ses choix.
"Rien n'est stable", s'inquiète Rashid Alam, qui travaille pour une banque internationale à Karachi. "Un chômage et une inflation en hausse (...), c'est la réalité politique et économique au Pakistan".
Si la croissance économique pourrait s'établir à 4% en 2022, elle est restée pratiquement nulle ces trois dernières années.
La roupie s'est fortement dépréciée, de 12% contre le dollar depuis juillet, en raison notamment d'un déficit commercial de 5 milliards de dollars (4,3 milliards d'euros) et ce malgré la hausse de 10% des envois en devises de sa diaspora.
M. Khan a objecté la semaine dernière que les problèmes économiques du Pakistan, en particulier l'inflation, ne lui sont pas spécifiques et qu'il reste "l'un des pays les meilleur marché" au monde.
Les secteurs manufacturier et des services ont semblé rebondir avec la suppression des mesures de confinement liées au Covid. Et l'agriculture devrait bénéficier cette année de pluies plus abondantes.
Mais l'autre grand problème de l'économie pakistanaise tient au remboursement d'une dette extérieure qui s'établit à 127 milliards de dollars.
- Mini-budget -
M. Khan avait réussi à obtenir en 2019 du Fonds monétaire international (FMI) un prêt échelonné de 6 milliards de dollars. Mais seulement un tiers a été versé et le FMI a bloqué le reste en attendant que le gouvernement pakistanais mette en œuvre les réformes auxquelles il s'était engagé.
Pour obtenir le déblocage d'une nouvelle tranche de 1 milliard de dollars lors d'une réunion prévue ce mois-ci, le gouvernement a présenté un mini-budget d'austérité, qui prévoit de mettre fin à des exonérations de taxe sur des produits de base et des denrées alimentaires.
L'opposition, qui craint que ces mesures n'entraînent une nouvelle augmentation des prix, a annoncé plusieurs grandes marches contre le gouvernement dans les semaines à venir.
Au bord du défaut de paiement, le Pakistan a récemment obtenu de la Chine et de l'Arabie saoudite des prêts de 3 milliards de dollars chacune, et de 2 milliards auprès des Emirats arabes unis.
"Tous les prêts qui sont souscrits actuellement, d'où qu'ils viennent, sont destinés à rembourser des prêts antérieurs", souligne Qaiser Bengali, un économiste indépendant. "Pour l'essentiel l'économie est en banqueroute. Le Pakistan ne peut pas rembourser ses prêts".
Le gouvernement doit composer avec un taux de recouvrement de l'impôt très faible. Moins de deux millions de personnes ont payé leur dû en 2020, sur une population de 220 millions d'habitants. Moins de 10% du PIB est ainsi tiré des revenus fiscaux.
Dans son petit magasin de réparation de batteries automobiles, Mohammad Hanif nourrit les idées les plus noires. "Des pensées (criminelles) occupent mon esprit sur la manière d'arriver à joindre les deux bouts. Mais je crains Allah, alors je les repousse", avoue-t-il.
W.Darwish--DT