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La Russie a révoqué lundi la licence de l'édition papier de Novaïa Gazeta, pilier du journalisme d'investigation, et condamné à 22 ans de prison un ex-journaliste pour haute trahison, derniers exemples des pressions que subissent les médias.
Le journal Novaïa Gazeta a dénoncé la volonté du pouvoir russe de le "tuer".
La pression contre les médias indépendants allait déjà crescendo en Russie, mais l'offensive du Kremlin en Ukraine depuis février a marqué une accélération brutale. Des dizaines de sites internet de médias ont été bloqués et des journalistes ont fui en masse le pays.
Le tribunal Basmanny de Moscou a ainsi invalidé lundi le certificat d'enregistrement de la version papier de Novaïa Gazeta, dont le rédacteur en chef, Dmitri Mouratov, a été en 2021 co-lauréat du Prix Nobel de la Paix.
"Aujourd'hui, ils ont tué le journal. Ils ont volé 30 ans de leur vie à ses employés", a dénoncé la rédaction dans un communiqué, assurant toutefois que son "esprit de liberté" continuerait d'exister.
Cette décision tombe quelques jours après la mort et les obsèques de Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l'URSS décédé mardi dernier à 91 ans et qui était un cofondateur du journal. M. Mouratov avait d'ailleurs pris la tête, samedi, de son cortège funéraire.
Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU a dénoncé un "nouveau coup" porté à l'indépendance des médias russes.
- 30 ans d'enquêtes -
Le tribunal Basmanny a justifié sa décision en expliquant que le journal n'avait pas transmis "les statuts de la rédaction" lors d'un réenregistrement administratif en 2006.
Dans deux autres plaintes, également déposées en juillet, Roskomnadzor a demandé l'annulation des autorisations du site internet et d'une nouvelle revue de Novaïa Gazeta. Ces plaintes doivent être étudiées prochainement.
De facto, Novaïa Gazeta ne paraît plus depuis fin mars. Sa direction avait alors suspendu sa publication en ligne et papier par crainte de représailles pour ses journalistes couvrant l’offensive russe contre l'Ukraine.
Fondé en 1993, le journal n'était donc plus imprimé depuis des mois. Mais une partie de ses journalistes ont lancé un nouveau site depuis l'étranger, Novaïa Gazeta Europe.
Pendant près de 30 ans, ce journal se penchait en Russie sur tous les thèmes délicats: la corruption des élites, les mystérieux soldats russes du groupe Wagner, ou encore la répression des homosexuels en Tchétchénie.
Cet engagement, le journal le paie au prix fort: six de ses journalistes ou contributeurs ont été tués depuis sa création.
- "Puni pour son travail" -
Avant la décision de justice de lundi, cette même rédaction avait partagé un message de soutien à l'ex-journaliste Ivan Safronov, 32 ans, expert reconnu des questions de Défense.
Arrêté en juillet 2020 et accusé de "haute trahison", il a été condamné lundi à 22 ans de "colonie pénitentiaire à régime sévère".
"On ne peut pas qualifier ce verdict autrement que d'inadéquat", a réagi auprès de la presse l'un de ses avocats, Dmitri Katchev. L'appel sera déposé "dès aujourd'hui", a précisé un autre avocat, Daniïl Nikiforov.
"L'acte d'accusation absurde et inconsistant montre qu'il est puni pour avoir fait son travail", s'est insurgé dans un communiqué l'organisation Reporters sans frontières (RSF), en dénonçant "une sentence inique et vengeresse".
Ivan Safronov a été condamné pour avoir transmis à un expert politique russo-allemand, également détenu en Russie pour "haute trahison", des informations sur les opérations militaires russes en Syrie, et aux services de renseignement tchèques des éléments sur les livraisons d'armes de Moscou en Afrique.
M. Safronov rejette fermement ces accusations.
Il avait travaillé pour deux quotidiens nationaux russes, avant de devenir en mai 2020 conseiller du directeur de l'époque de l'agence spatiale russe Roscosmos.
Lundi, Novaïa Gazeta a évoqué une "vengeance" du pouvoir contre Ivan Safronov pour ses articles évoquant régulièrement les ratés de l'armée russe.
A.Padmanabhan--DT