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Un paysan guide un buffle dans la brume, suivi d'une femme en chapeau de paille... devant 50 smartphones: en Chine, des villageois simulent un quotidien rural révolu, pour attirer touristes avides de souvenirs et d'ambiance photogénique.
Cette représentation d'une vie campagnarde idéalisée, où animaux et paysans jouent des rôles soigneusement orchestrés, est ponctuée par le vrombissement des drones et les exclamations des visiteurs.
Grâce aux photos et vidéos virales publiées sur les réseaux sociaux, le canton de Xiapu, région aux allures de carte postale située dans la province côtière du Fujian (est), a acquis une notoriété nationale.
Au point d'attirer de nombreux touristes, prêts à dépenser jusqu'à 300 yuans (40 euros) pour se faire photographier avec les habitants dans ce décor de Chine rurale fantasmée, depuis longtemps remplacée par l'urbanisation et le développement industriel.
Venue en vacances depuis la région du Guangxi (sud-ouest), Liang Liuling, 72 ans, se remémore, face à ce paysage, sa jeunesse.
Comme des millions de jeunes gens de sa génération, elle a été contrainte de travailler durement dans des régions rurales reculées durant la Révolution culturelle, lancée en 1966 par le dirigeant de l'époque, Mao Tsé-toung.
"Quand on nous a envoyé à la campagne, on utilisait des buffles pour labourer", raconte-t-elle. "Maintenant, ce sont devenus en quelque sorte des accessoires de théâtre pour nous, les vieux", sourit Mme Liang. "Les voir ici, c'est tout simplement merveilleux."
- Fausse brume -
En 1980, seulement 20% de la population chinoise vivait en ville. Aujourd'hui, c'est environ deux-tiers, conséquence du développement rapide du pays.
Ce changement soudain des modes de vie alimente une tendance à la nostalgie pour des temps qui étaient économiquement plus difficiles, mais aussi perçus comme plus simples.
Une recherche sur Xiapu, qui compte 480.000 habitants, génère des centaines de milliers de publications sur Douyin, la version chinoise de TikTok, ou encore sur le réseau social Xiaohongshu - connu sous le nom de RedNote à l'international.
De nombreux utilisateurs y publient des photographies travaillées et proposent leur conseils pour réussir les meilleures prises de vue.
Pour parfaire l'ambiance, des villageois brûlent même des végétaux afin de produire une fausse brume qui magnifie l'ambiance des photos.
Mais toute cette mise en scène ne semble pas tarir l'enthousiasme des centaines de visiteurs quotidiens qui arrivent en autocar.
"On a vu cet endroit pittoresque sur internet et on a changé notre programme à la dernière minute pour venir", déclare Huang Jumei, une guide touristique, à la tête d'un groupe de seniors qui "aurait bien eu envie de rester davantage".
"Cela ravive des souvenirs d'enfance pour beaucoup d'entre nous qui venons de familles paysannes", explique-t-elle à l'AFP.
- "Plus relax" -
Les visiteurs doivent négocier un prix avec le propriétaire des buffles, Chen Weizuo, avant qu'il ne les autorise à prendre des photos de lui et de ses animaux.
L'homme de 62 ans propose également des costumes traditionnels à la location.
Ancien agriculteur, il a emprunté il y a environ 10 ans le buffle d'un villageois et commencé à faire payer des touristes, d'abord uniquement des locaux, pour des photos.
Des groupes plus nombreux ont ensuite commencé à arriver, puis il a importé son propre bovin du Vietnam, car "personne en Chine ne vend plus de buffles".
Il dit être heureux de ne plus devoir travailler dans les champs.
"Maintenant, je passe mes journées sous les arbres. L'été, il fait frais, et quand les clients viennent, je discute et je plaisante avec eux", explique-t-il.
"C'est beaucoup plus relax."
Y.Rahma--DT