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Dans un tourbillon de poussière enflammé par les derniers rayons de soleil, les jockeys tchadiens lancent leurs chevaux après six mois de pause, devant le millier de spectateurs massés le long de la piste ovale tracée quelques jours plus tôt dans le sable gris.
Cette année, la traditionnelle saison des courses hippiques du Tchad s'est ouverte fin novembre à l'hippodrome de Biligoni, une bourgade entre brousse et désert, dans le sud-ouest de la province du Barh el Gazel.
Les toits des 4x4 et les branches des savonniers servent de tribune à ceux qui ne siègent pas à l'ombre de la tente officielle.
Les bras s'agitent, les cris et encouragement fusent quand les cavaliers, certains à cru, approchent de la ligne d’arrivée.
"Gagner une course au Tchad, c’est comme gagner la Champions League", lance Amir Adoudou Artine, bientôt 55 ans, veste en daim sur les épaules et cigarillo en main, venu pour ce rendez-vous réunissant grands propriétaires et amateurs fortunés.
Lui-même éleveur et propriétaire de chevaux de courses, ce dirigeant d'une entreprise de construction hydraulique a retrouvé ici d'autres patrons de premier plan, des anciens ministres, des hauts fonctionnaires et même un des frères du président tchadien, venu en avion de N'Djamena.
Avec les chevaux hennissant, l'alignement de gros 4x4 et les braseros fumants, il y a comme un parfum texan dans ce far-west tchadien.
La nuit, au coin du feu, on fait les pronostics de ce début de saison en buvant théière sur théière sur fond de musiques soudanaises et de variété française des années 80.
Mais on ne parie pas. A chaque repas, dès le matin, on mange du mouton bouilli avec des épices, des oignons et du coulis de tomate.
Le village de Biligoni a été choisi cette saison car Idriss Ahmed Idriss, président de l’Association d'encouragement pour l'amélioration des races des chevaux du Tchad (AEARCT) et directeur national de la Banque des États de l'Afrique centrale, en est originaire.
Ce propriétaire "élève à la traditionnelle", en plaçant chaque poulinière et son poulain chez un éleveur bovin pour qu’ils soient nourris de petit-lait, en plus de céréales - principalement du mil.
"Les chevaux sont indissociables des éleveurs de bovins et on se trouve ici au cœur d’une région riche en termes de production animale", précise le quinquagénaire assis à l’ombre d’un manguier.
- Razzia contre razzia -
"Il y a également une histoire tourmentée dans cette région: ça a longtemps été razzia contre razzia. Il fallait donc de bons chevaux pour voler le bétail ou s’enfuir", avance ce passionné, surnommé "Idriss cow-boy" depuis l'adolescence. Il a acheté son premier cheval à 15 ans.
De son enfance, il garde les images "des grandes parades de chevaux lors des fêtes nationales". "Les sultans venaient avec leurs montures harnachées pour l’occasion" et "le soir, on faisait des Fantasia", raconte-t-il, le regard illuminé par ses souvenirs.
"L’hippodrome était aussi un lieu où on pouvait découvrir la vie moderne, complète Amir Adoudou Artine. "C’est là que j’ai mangé mon premier milk-shake quand j’avais six ans", glisse-t-il avec un sourire enfantin.
La course hippique a été introduite dans l'ancienne colonie française à la fin des années 1960, quelques années après l'indépendance, avec dans un premier temps, des chevaux français importés pour être croisés avec des chevaux tchadiens.
La mode est désormais aux anglo-arabes en provenance du Soudan.
Les conversations à Biligoni évoquent les noms d’illustres propriétaires, comme Abdoulaye Lamana, un des fondateurs de l’AEARCT, ou plus récemment Athanase Poulopoulos, consul honoraire de Grèce au Tchad, qui jamais ne manquait une course.
Résonnent aussi les noms de grands chevaux comme Dollars, Dar es Salam ou Cyclone, aux lignées toujours recherchées.
Mais les temps changent et le prestige de la discipline s'estompe, en raison selon les amateurs des conflits récurrents dans cette région instable, de la longue saison des pluies et des maladies.
Des grandes écuries, seules celles d'Idriss Ahmed Idriss et d'Amir Adoudou Artine conservent une dizaine de chevaux de course.
Son coût élevé rend la discipline inaccessible à l’immense majorité de la population du Tchad, une des plus pauvres du continent africain.
Un cheval coûte à l'achat entre un et dix millions de francs CFA (1.524 et 15.245 euros environ).
S’y ajoutent la nourriture, l’entretien, le personnel - chef d’écurie, jockey, palefrenier et parfois un maquignon, afin de dégoter de futurs cracks.
Les propriétaires, tous quinquagénaires, déplorent le désintérêt des jeunes générations qui "préfèrent le foot, jouer aux cartes, faire des voyages ou acheter des voitures", comme le regrette l'un d'eux.
"A chaque fois qu’un propriétaire meurt ou part, il n'y a pas de remplaçant", confie Amir Adoudou Artine, au coin du feu, cigarillo aux lèvres. "Nous sommes une quarantaine à N’Djamena et nous étions deux fois plus il y a une quinzaine d’années. Nous sommes les derniers des Mohicans".
F.Chaudhary--DT