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Face à un scrutin à l'issue indécise, de prestigieux médias américains renoncent à apporter leur soutien à Kamala Harris ou à Donald Trump, mettant fin à une longue tradition et suscitant de vives tensions dans leurs rédactions.
"C'est de la lâcheté, et la démocratie en est la victime", a tonné vendredi l'ancien rédacteur en chef du Washington Post, Marty Baron, sur X, reprochant au quotidien de s'incliner face aux intimidations de Trump.
La direction du journal, propriété du milliardaire Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, avait annoncé plus tôt que le "Wapo", plutôt marqué à gauche, ne soutiendrait aucun candidat pour l'élection du 5 novembre, ainsi qu'à l'avenir. Un coup de tonnerre dans l'industrie.
"Notre travail, en tant que quotidien de la capitale du plus important pays du monde, est d'être indépendant", a justifié le directeur général.
Selon le syndicat des journalistes du quotidien, qui s'est dit "très préoccupé" par cette annonce, "un soutien à Harris avait déjà été rédigé, et le propriétaire du +Post+, Jeff Bezos, a pris la décision de ne pas le publier".
Une intervention niée par une source proche de la direction, qui a assuré à l'AFP qu'il s'agissait bien d'une décision du journal.
Plus tôt dans la semaine, le milliardaire Patrick Soon-Shiong, propriétaire du Los Angeles Times, avait bloqué la décision du comité éditorial du journal qui voulait apporter son soutien à la démocrate.
En signe de contestation, plusieurs employés ont remis leur démission, dont la responsable éditoriale du LA Times, Mariel Garza. "Je n'accepte pas que nous restions silencieux", a-t-elle expliqué dans une interview. "Dans ces temps dangereux, les gens honnêtes doivent se manifester."
- Milliardaires -
L'équipe de campagne de Donald Trump a quant à elle sauté sur l'occasion: "Kamala (Harris) est tellement une coquille vide que le Washington Post a décidé d'annuler tout soutien présidentiel plutôt que d'appuyer sa candidature", a-t-elle commenté.
Les deux journaux avaient apporté leur soutien aux candidats démocrates lors des dernières élections. De nombreux lecteurs, indignés, ont immédiatement réagi en assurant qu'ils allaient résilier leur abonnement.
En refusant de prendre position, les médias cherchent à s'assurer "de ne pas s'aliéner de lecteurs potentiels", explique à l'AFP Dannagal Young, professeure en communication et en sciences politiques à l'université du Delaware.
Mais aussi, note-t-elle, "les magnats de la presse ne sont probablement pas très enclins à vouloir s'aliéner celui qui pourrait devenir président".
D'autant plus que certains ont des intérêts financiers liés au gouvernement. C'est notamment le cas de Jeff Bezos, les sociétés dont il est actionnaire ayant signé ces dernières années de gros contrats avec l'administration, dont le Pentagone.
"Les gens veulent être du bon côté de Donald Trump", résume Mme Young, rappelant que le républicain est réputé pour favoriser les relations personnelles aux affinités politiques.
Cela ressemble "à de l'obéissance anticipée" face à "la punition qu'ils pourraient subir si Trump revenait au pouvoir", abonde Dan Kennedy, professeur de journalisme à l'université Northeastern dans un blog.
- Tradition en déclin -
Bien que plus que centenaire, la tradition des soutiens médiatiques, généralement décidée par des comités d'éditorialistes - et non pas par les rédactions - a connu ces dernières années un déclin aux Etats-Unis, dans un contexte de polarisation politique et de crise économique des médias.
Cette année, le prestigieux New York Times, le Boston Globe, le magazine Rolling Stone et le Philadelphia Inquirer ont notamment apporté leur soutien à la candidate démocrate. Quant au républicain, il a recueilli entre autres l'appui du New York Post, tabloïd appartenant au magnat Rupert Murdoch et du quotidien conservateur the Washington Times.
Si la campagne a révélé la perte d'influence des grands noms de la presse, auprès des électeurs comme des candidats eux-mêmes, dont l'attention se porte de plus en plus sur d'autres supports tels que les podcasts ou TikTok, ces soutiens médiatiques "continuent de compter", insiste Jane Hall, professeure en communication de l'American University.
Et le refus de se positionner pour certains d'entre eux choque d'autant plus qu'il s'inscrit dans un contexte "où Donald Trump parle de s'en prendre aux licences des chaînes de télévision, de punir davantage les journalistes et d'attaquer la presse libre".
Or, le Washington Post, célèbre pour avoir révélé le scandale politique du Watergate "a fait preuve de courage dans sa manière de couvrir l'insurrection du 6 janvier (l'assaut du capitole par des Trumpistes) et en s'opposant aux menaces contre les médias", note l'enseignante.
Selon elle, "cela envoie un signal dissuasif aux journalistes".
S.Al-Balushi--DT