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L'Albanie portera mardi et mercredi le deuil d'Ismaïl Kadaré, géant de la littérature qui avait fait de sa plume une arme contre les dictatures. Une "voix monumentale" qui s'éteint, mais qui laisse derrière elle une oeuvre puissante et libre.
Les 2 et 3 juillet, tous les drapeaux du pays seront en berne, a annoncé le Premier ministre Edi Rama. Mercredi matin marquera le temps de l'hommage national au héros des lettres albanaises, avec des cérémonies à l'opéra. Tandis que radio et télévision publiques joueront des marches funèbres.
Ismaïl Kadaré "est désormais sur le piédestal de l'éternité, et aucun mot ne me vient", avait salué plus tôt dans la journée M. Rama, en hommage au "plus grand monument de la culture albanaise".
"Je le remercie pour le plaisir extraordinaire [qu'il nous a offert] de voyager dans un monde d'événements, de personnages, d'émotions, qu'il a fait vivre avec l'aisance d'un magicien. Et pour l'amertume qu'il a provoquée chez les médiocres et les jaloux avec son succès retentissant", avait ajouté le Premier ministre, reprenant le message publié pour l'anniversaire de celui qui s'est éteint sans avoir reçu le Nobel de littérature, pour lequel il avait pourtant si souvent été envisagé.
Publié dans des dizaines de langues, Ismaïl Kadaré a cependant connu le succès dès les années 1970, et placé l'Albanie sur la carte littéraire mondiale.
"C'est l'auteur qui a redimensionné la littérature et toute la société albanaise, grâce à ses œuvres publiées au milieu des ténèbres, et aussi après. Mais il a beau avoir quitté ce monde, sa mission ne s'arrête pas", explique Persida Asllani, responsable du département de littérature à l'Université de Tirana.
Réagissant à son décès, le Premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, a salué un auteur qui "depuis les ténèbres de la dictature", su être "la lueur de la créativité, de la liberté, du génie. Il fut obligé, comme beaucoup de ses compatriotes, de vivre sous le joug de contraintes politiques et artistiques. Et pourtant, il sut trouver le moyen d'illuminer, de questionner, et de rire".
La présidente kosovare, Vjosa Osmani, a pleuré "la perte d'une voix monumentale, un trésor qui n'existe qu'une fois par génération".
- Honneur et privilège -
"Ismail Kadaré est considéré depuis quelques années comme l'un des plus grands écrivains de notre temps. C'est un honneur d'avoir eu le privilège de publier son œuvre", a écrit la maison d'édition française Fayard sur X. "Les échos douloureux de ses mots résonnent encore aujourd'hui", a ajouté Fayard dans un communiqué.
Cette œuvre, riche d'une cinquantaine d'ouvrages -romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre- traduits dans 40 langues, a été en partie écrite sous la dictature d'Enver Hoxha, qui, jusqu'à sa mort en 1985, a dirigé sans pitié un pays hermétiquement clos.
Les mots de Kadaré avaient eux, réussi, à passer les frontières.
"Avec son style brillant, il a fait vivre l'Histoire, il a pu dire la vérité sur ce qui s'est passé durant le communisme - mais pas seulement. Et pas seulement en Albanie car il était aussi un fin connaisseur de la région et des Balkans", dit dans les rues de la capitale albanaise, Tirana, Katerina Hysenllari, une étudiante de 24 ans.
"Ce qui est écrit sur le Panthéon à Paris : Aux grands hommes, la patrie reconnaissante, vaut également pour Kadaré", abonde Shezai Rrokaj,professeur de langue à l'Université de Tirana. "Ce grand génie nous a appris à connaître notre littérature et à apprécier l'art d'écrire".
Figure de ce petit pays de 2,5 millions d'habitants connu pour ses eaux cristallines, ses sites antiques et la réputation sulfureuse de certains de ses cartels, Ismaïl Kadaré était devenu en 2005 le premier vainqueur du International Booker Prize pour l'ensemble de son œuvre, a rappelé l'organisation sur X.
Sa mort "est une perte pour la littérature albanaise et pour la littérature mondiale. Mais les écrivains sont soumis à d'autres lois : un écrivain ne nous quitte que physiquement, son œuvre reste pour des siècles", assure Zylyftar Bregu, 41 ans et passionné de littérature.
L'homme politique français Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (Paca), lié à l'Albanie par sa mère, a salué "un homme de lettres passionné".
"Il nous laisse l'héritage de ses ouvrages puissants" a écrit sur X M. Muselier. "Sa plume aura été inlassablement alimentée par son engagement pour la liberté : ses mots résonnent ce matin".
F.Saeed--DT