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"Kandahaaaaar...": le speaker du stade s'époumone soudain quand le cavalier de l'équipe de bouzkachi de la province du sud de l'Afghanistan sort de la mêlée et file au grand galop vers le cercle victorieux y déposer le trophée.
La pluie, la boue ou le froid humide n'ont pas gêné l'équipe de Kandahar, pour battre Kunduz (nord) à Kaboul dimanche, et remporter le titre de championne d'Afghanistan de ce jeu traditionnel.
La partie s'est déroulée sous bonne garde de combattants talibans armés, six mois après la prise du pouvoir par les islamistes fondamentalistes.
Banni sous le premier règne des talibans (1996-2001), qui le considéraient comme "immoral", le bouzkachi est désormais autorisé, et même promu par les nouveaux maîtres du pays.
"Le gouvernement a permis l'indépendance de l'administration olympique, et, avec le bouzkachi, nous avons le football, la lutte et d'autres sports, tous soutenus par le gouvernement", a-t-il assuré.
Jeu violent et spectaculaire, encore symbole de l'identité afghane, le bouzkachi, dont le nom signifie en persan "traîner la chèvre", est joué depuis des siècles en Asie centrale, avec de légères variations selon les pays.
Mêlant force, bravoure et vitesse, il consiste à s'emparer d'une lourde carcasse de chèvre ou de veau, et à cavaler avec autour du terrain pour la déposer dans le "cercle de justice" tracé à la chaux.
En compétition officielle, la bête est remplacée par un sac lesté en cuir de 30 kg, avec quatre bouts de corde tressée à chaque coin.
Deux équipes de six "tchopendoz" (cavaliers) s'affrontent deux foix 30 minutes, avec une mi-temps d'un quart d'heure.
Chacune dispose au total de 12 chevaux et autant de cavaliers. Remplacer l'un comme l'autre est autorisé autant que souhaité.
Dimanche matin, dans l'enceinte aux hauts murs où flottaient des drapeaux blancs des talibans, après fouille et contrôles des sacs, environ un millier de spectateurs ont investi les tribunes officielles - pleines et abritées de la pluie-, et les gradins sommaires et clairsemés.
- Nez cassé -
Pour les faire patienter, des hauts-parleurs ont diffusé des chants religieux.
Loin du récit épique de l'écrivain Joseph Kessel dans son livre "Les Cavaliers", publié en 1967, la finale du championnat de bouzkachi, version 2022, a presque adopté les codes des compétitions modernes.
De grands panneaux publicitaires décorent le stade, les cavaliers portent les mêmes tenues - chaque équipe a sa couleur -, avec des numéros et même des écussons publicitaires. Et le match est retransmis en direct à la télévision.
Au coup d'envoi, chevaux et cavaliers s'élancent avec fureur vers le centre du terrain boueux où gît le trophée convoité.
Naseaux fumant, les étalons puissants et nerveux se frottent violemment les uns contre les autres, se cabrent et projettent leurs sabots dans la mêlée. Les cravaches claquent sur les flancs des bêtes, voire sur des concurrents.
Parfois, un cheval et son binôme chutent et les coups de sabots blessent. Un cavalier de Kunduz y a cassé son nez. Il a continué avec un pansement, le visage tuméfié, et la même rage de vaincre.
Et puis tout à coup, l'un des cavaliers, quasiment allongé à la verticale le long de sa monture, retenu seulement par une jambe, parvient à saisir un bout de corde de la fausse carcasse, puis à s'extraire de la bagarre.
A bride abattue, poursuivi en vain par la meute, il file à l'autre bout du terrain et déposer le trophée au milieu du cercle, sous les vivats des supporteurs.
"Kandahaaaaar", crie le speaker: la province l'a emporté 2-0.
"Ca a été très difficile. Je suis tombé deux ou trois fois. Mais notre équipe a été très forte, je suis très heureux", a déclaré le cavalier Abdul Sami.
"Hélas, le bouzkachi n'était pas autorisé avant (sous l'ancien régime des fondamentalistes) et il était seulement pratiqué dans les provinces non contrôlées par les talibans", a expliqué le propriétaire de l'équipe gagnante, Qais Hassan.
"Heureusement aujourd'hui, non seulement on le pratique partout dans le pays, mais le gouvernement (...) organise la compétition", s'est-il réjoui.
V.Munir--DT