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En cet après-midi de septembre, Guillaume Rouseré pose un micro dans une ferme biologique du nord du Qatar. Vent dans les herbes hautes, oiseaux, insectes, machines agricoles, voitures, avions... Les sons enregistrés viendront peut-être nourrir l'une de ses créations.
Le Français, qui aura 45 ans en décembre, est artiste sonore, et c'est dans l'émirat où il réside depuis neuf ans qu'il a développé sa pratique.
Son installation "Fragile resilience", au visuel inspiré des voiles des boutres (les voiliers traditionnels de la région), vient d'être exposée lors d'un événement d'une fondation qatarie à l'Unesco.
Une autre sur le thème de l'eau, enregistrée en partie au Qatar, l'est depuis la mi-septembre dans un musée du pays.
A l'occasion de la Coupe du monde de football, dont le coup d'envoi sera donné le 20 novembre, le Qatar met en avant son investissement dans le monde de l'art, sous l'impulsion de l'une des soeurs de l'émir, Sheikha al Mayassa.
- Soutien aux artistes -
"Depuis que je suis là, il y a toujours eu un soutien aux artistes locaux, internationaux et résidents", assure M. Rouseré. Il en a lui-même bénéficié à la faveur d'une résidence dans un espace d'art contemporain, Fire Station, ou encore une commande (intitulée "Allow me") pour la station de métro Mushaireb.
"Est-ce que le football a accéléré ça? Je crois qu'il y avait déjà une grande dynamique mais que tout le monde a pris conscience qu'il y avait une opportunité internationale de visibilité", continue-t-il.
Au musée Mathaf, situé dans le quartier des universités, Education City, et proche de l'un des huit stades du Mondial, son installation immersive "The world as we know it is changing" ("Le monde tel que nous le connaissons change") interroge notre rapport à l'eau douce mais aussi l'impact de la pollution sonore sur notre écoute.
Assis dans une pièce noire entre quatre amplificateurs, les visiteurs plongent dans une composition mêlant deux ans d'enregistrements au bord de rivières, de bruits d'activités humaines et de récits de souvenirs liés à l'eau dans une multitude de langues.
"Il y a beaucoup d'enregistrements au Qatar mais il serait surprenant de savoir lesquels", détaille l'artiste. Les voitures ont été enregistrées dans l'émirat, tout comme une rivière et des cigales.
Pour favoriser une "écoute profonde" dans un monde où l'image est reine, M. Rouseré, originaire des Hauts-de-France (nord), projette sur un mur les remous de l'eau versée dans une enceinte qui vibre avec les sons diffusés.
- "On n'écoute plus" -
Son objectif: "emmener mon audience en voyage, (pour) écouter (et) se déconnecter du monde", dit-il. "C'est devenu encore plus important pour moi parce que, je me trompe peut-être mais, ces 10 ou 15 dernières années, on est tellement dans des sociétés qui vont vite qu'on n'écoute plus."
Fasciné par le son depuis son enfance passée à exploser des ballons dans différents environnements pour en expérimenter la réverbération, le Français enregistrait déjà des sons en dilettante durant sa première vie de manager de musiciens en Grande-Bretagne, avant de se former en Belgique pour se consacrer à l'art sonore au Qatar.
Depuis, ses séances d'enregistrement se sont ritualisées. "Je me balade sur le lieu que j'ai envie d'explorer et j'utilise mes oreilles pour me diriger si j'entends quelque chose qui m'intéresse. Parfois, j'observe les oiseaux (...) pour essayer de voir où il y a de l'activité", raconte-t-il.
"Après, c'est au petit bonheur la chance (...). Je laisse le micro et je m'en vais. Je n'écoute pas avant d'être dans mon studio", dit-il.
Chaque lieu reçoit donc plusieurs de ses visites. "La première pour découvrir, la deuxième pour expérimenter et, si la numéro 2 n'a pas marché, je me donne une troisième chance en changeant soit l'heure soit les conditions climatiques", poursuit l'artiste.
Ainsi se constitue la "mémoire sonore" que partage Guillaume Rouseré.
A.Ragab--DT