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Vinci, qui exploite une nouvelle autoroute près de Strasbourg à l'impact environnemental controversé, a dû s'engager, pour compenser, dans un programme de réintroduction du grand hamster d'Alsace, espèce emblématique à l'habitat menacé par l'activité humaine.
"J'aimerais bien que tout le monde reparte avec ses doigts": Célia Schapeller sourit en s'adressant à l'un des photographes de presse cherchant à immortaliser d'un peu trop près le petit mammifère au museau constellé de tâches blanches qui dépasse du grillage de la cage en bois d'où il attend d'être libéré dans cette parcelle de blé. Sous un soleil dur et précoce, 60 grands hamsters doivent être réintroduits ce matin-là.
Clap! La trappe s'ouvre, et le "cricetus cricetus", nom scientifique du rongeur, tombe dans le terrier d'environ 80 cm de profondeur creusé au préalable, immédiatement recouvert de paille agglomérée.
"Le but, c'est qu'ils ressortent le soir venu lorsqu'il y aura moins de risques d'attaques de rapaces", dit Célia Schappeller, soigneuse au sein de l'association Sauvegarde Faune Sauvage (SFS), qui a élevé les individus en captivité en vue de ce grand jour.
Aussi connu comme "hamster d'Europe", l'animal est classé en "danger critique d'extinction" par l'Union internationale pour la conservation de la nature. Une clôture électrique est aussi là pour éviter les prédateurs terrestres: renards, blaireaux ou même chats.
Sur trois hectares, l'opération se répète selon un plan méthodique pour éviter la consanguinité dans les terriers et en respectant une alternance mâle-femelle pour susciter les rencontres fécondes.
"Notre opération a pour objectif de renforcer les populations existantes", confirme Arnaud Guillemain, le responsable environnement de Vinci Autoroutes. Les lâchers se font à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau de sa nouvelle A355, le controversé grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg.
- Obligation légale -
Cette double-voie à péage de 24 km destinée à désengorger la capitale alsacienne, inaugurée en décembre après plus de 40 années de controverses et d'oppositions locales, est le premier projet d'infrastructure née avec une obligation légale de compenser la perte de biodiversité depuis une loi de 2016.
"Ayant construit (l'autoroute) sur des parcelles agricoles, notamment avec des champs de blé qui sont l'habitat du grand hamster, nous avons compensé sur d'autres parcelles de blé", résume M. Guillemain. Ce mécanisme de réinsertion initié en 2017 lors du début des travaux a déjà permis la réintroduction de 800 spécimens.
Le premier groupe de concessions autoroutières de France s'est ainsi lié à "des dizaines d'agriculteurs" qui s'engagent à ne pas cultiver de maïs pendant 10 ans, une culture qui pousse les femelles au cannibalisme, mais à maintenir plutôt du blé ou de la luzerne sur pied, favorables au "Kornferkel", le nom du grand hamster en alsacien, littéralement "petit cochon des céréales".
Espèce "parapluie" ou "sentinelle", "le hamster est un bon indicateur de la viabilité d'un système agricole", indique Timothée Gérard, 25 ans, dont la thèse en biologie, réalisée avec le CNRS et l'Université de Strasbourg, est financée par Vinci Autoroutes. "Les traitements actuels des champs", liés à l'agriculture conventionnelle, font qu'il y a "une diminution de la qualité des sols assez importante, avec des communautés d'insectes qui disparaissent".
- "Opération anachronique" -
"Le hamster n'a pas attendu l'autoroute pour disparaître ! C'est la monoculture de maïs et les pesticides qui nous ont foutu tout en l'air", s'agace Jean-Paul Burget. L'emblématique président de SFS, qui avait fait condamner la France par la Cour européenne de justice en 2011 parce qu'elle n'en faisait pas assez pour protéger l'animal, estime que les mesures de compensation du GCO permettent in fine "un renouveau de la biodiversité".
Obligé de réduire l'impact de son ouvrage, Vinci a également construit des passages enterrés ou surélevés pour que la faune, dont le grand hamster, puisse franchir l'autoroute, même si M. Gérard admet la "faible capacité de dispersion" de l'animal, quelques centaines de mètres seulement, "contrairement à la cigogne", un succès de réintroduction en Alsace.
"Ces opérations de lâchers ne permettent pas de reconstituer un noyau de population suffisant", regrette Stéphane Giraud, directeur de l'association Alsace Nature qui dénonce "une opération de communication anachronique", et "des résultats au comptage qui ne sont pas au rendez-vous".
En Alsace, 488 terriers avaient été recensés en 2021 par l'office français de la biodiversité, il en faudrait trois fois plus pour que l'espèce survive selon le plan national d'action. "Quelque chose ne va pas dans la méthodologie de réintroduction, alors que l'espèce est protégée depuis 1993", ajoute M. Giraud qui plaide pour des micro-parcelles et une révision des aménagements.
En janvier dernier, un avis de l'Autorité environnementale avait étrillé l'impact d'étude environnemental du GCO présentée par Vinci.
G.Rehman--DT