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Le procès en diffamation qui a opposé Amber Heard à Johnny Depp aux Etats-Unis et sa diffusion à la télévision auront un impact "potentiellement catastrophique" pour les victimes de violences conjugales, estiment des organisations de défense des femmes.
Les six semaines de débats devant le tribunal de Fairfax, près de Washington, ont viré au grand déballage sur la vie privée du couple de vedettes d'Hollywood qui s'accusaient mutuellement de violences.
Les jurés ont donné raison mercredi au "Pirate des Caraïbes" et lui ont attribué un peu plus de 10 millions de dollars de dommages-intérêts, jugeant que l'actrice de 36 ans avait diffamé son ex-mari en se présentant comme "une personnalité publique représentant les violences conjugales" dans une tribune publiée en 2018, même si Johnny Depp n'était pas mentionné.
La juge Penney Azcarate avait décidé d'autoriser la diffusion des audiences à la télévision pour cette affaire ultra-médiatisée, malgré l'opposition des avocats d'Amber Heard.
Pour Michele Dauber, professeure de droit à l'Université de Stanford et militante contre les agressions sexuelles sur le campus, c'est "la pire décision prise par un tribunal depuis des décennies pour les victimes" qui montre "une profond méconnaissance des violences sexuelles de la part de la juge".
Selon elle, Amber Heard a ainsi dû "décrire son viol présumé avec des détails crus à la télévision. C'est choquant et ça devrait offenser toutes les femmes et les victimes, qu'elles soient d'accord ou non avec le verdict".
La dernière fois qu'une victime de viol a été forcée de témoigner publiquement date de 1983, dit-elle.
"Il n'y a aucun intérêt public dans cette affaire qui pourrait éventuellement l'emporter sur le mal causé", affirme Michelle Dauber, estimant que désormais "chaque victime va réfléchir à deux fois avant de se manifester et demander une ordonnance d'éloignement ou de parler à quiconque des abus qu'elle a subis".
"Les femmes peuvent être blessées, même tuées, parce qu'elles n'appellent pas à l'aide. Cette affaire a été un désastre complet. Elle est potentiellement catastrophique", conclut-elle.
Le procès a fasciné un public mondial peu habitué à regarder les allégations d'agressions sexuelles au sein d'un couple et cela -– quelles que soient les opinions sur le verdict -– est un problème, met aussi en garde Ruth Glenn, présidente de la Coalition nationale contre les violences conjugales (NCADV).
"Je ne pense pas que notre société comprenne encore la dynamique des violences conjugales", déclare-t-elle à l'AFP.
Ce contexte crucial n'a pas été suffisamment discuté lors des débats au tribunal, estime-t-elle, affirmant que pour elle, il n'y a "aucun doute" sur les types d'abus qui ont été révélés au procès.
"Il faut s'assurer que les personnes présentes comprennent cela. Mais tant que nous ne faisons pas ça, ne montrons pas ce genre de choses à la télévision", prévient-elle.
- Misogynie -
Les messages d'insultes reçus par Michele Dauber pour avoir commenté le procès sur Twitter illustrent aussi, selon elle,l'opposition croissante aux droits des femmes aux Etats-Unis, dans un contexte de menace sur le droit à l'avortement par la Cour suprême.
L'opinion publique a soutenu Johnny Depp alors que son accusatrice faisait l'objet d'insultes et de quolibets "ouvertement misogynes" sur les réseaux sociaux, estime-t-elle.
Amber Heard a subi "métaphoriquement le supplice du goudron et des plumes", affirme Michele Dauber, alors que le jugement a été salué par la droite américaine.
L'affaire pose aussi la question de l'avenir du mouvement #MeToo, un hashtag né en 2017 pour encourager les femmes à dénoncer les auteurs de harcèlement et d'agression sexuelles.
"Il est impossible de ne pas y voir un retour de bâton pour #MeToo, les femmes sont allées trop loin. Mesdames, on vous a écouté et on a condamné quelques hommes. Ne soyez pas trop cupides", écrit ainsi un internaute sur Reddit.
Mais Tarana Burke, fondatrice de #MeToo, assure sur Twitter que "ce mouvement est tout à fait VIVANT", appelant à se concentrer sur le courage de millions de femmes ayant dénoncé des violences plutôt que sur les batailles judiciaires, gagnées ou perdues.
Ruth Glenn veut voir dans le procès un "rappel du travail que nous avons encore à faire". "C'est un parfait exemple d'une affaire qui influence une culture", explique-t-elle.
I.Uddin--DT