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Sur le port de San Francisco, Sarah Bates déprime ces jours-ci: au lieu de partir en mer chaque matin, elle reste désespérément à quai à cause de l'interdiction de la pêche au saumon provoquée par la sécheresse en Californie.
"Le saumon est ma pêche principale et ça représente 90% de mes revenus", grince cette pêcheuse de 46 ans, à bord de son navire en bois.
En vigueur sur toute la côte du "Golden State" depuis avril, l'interdiction va durer jusqu'à la fin de saison en septembre, et affecte également une partie de l'Oregon voisin. Car le nombre de saumons censés remonter les rivières de la région frise des plus bas historiques, en raison de la sécheresse qui frappe l'Ouest américain depuis des années.
Aggravée par le changement climatique, elle a rendu les cours d'eau, déjà truffés de barrages, trop bas ou trop chauds. Dans ces conditions inhospitalières, les poissons peinent à remonter le courant pour se reproduire, et leur progéniture meurt souvent avant d'atteindre l'océan.
L'annulation de la saison est un véritable coup dur en Californie, où la pêche au saumon génère 1,4 milliard de dollars par an et soutient 23.000 emplois, selon la Golden State Salmon Association.
Sur le port, l'un des restaurants se fournit désormais auprès de fermes aquacoles du Canada pour maintenir le poisson au menu.
"Le saumon est roi (...) c'est ce que les gens veulent", résume Craig Hanson, propriétaire d'un bateau loué aux amateurs de pêche sportive. Plébiscité pour sa saveur, ce poisson est aussi "très spectaculaire", rappelle le sexagénaire: même après avoir mordu, il "se bat jusqu'à la fin".
- Déclin dramatique -
Habitué à sortir tous les jours en été, le marin lève désormais l'ancre seulement quatre fois par semaine: la pêche au flétan ou au bar rayé suscite moins d'enthousiasme chez ses clients.
Malgré ce manque à gagner, l'entrepreneur approuve l'interdiction. "Si cela peut aider l'industrie dans le futur, alors je suis pour", lâche-t-il, en espérant un rebond grâce aux pluies et à la neige abondantes de cet hiver.
Il va pourtant falloir s'armer de patience: beaucoup de pêcheurs s'attendent déjà à une autre année blanche en 2024.
"Les saumons +chinook+ pêchés ici en Californie ont généralement un cycle de vie de trois ou quatre ans", explique Nate Mantua, un scientifique de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA). "Lorsqu'il leur arrive quelque chose en eau douce, sous forme d'œufs ou d'alevins, l'impact sur la pêche se fait sentir deux ou trois ans plus tard."
Aujourd'hui dramatique, leur déclin est entamé depuis une bonne dizaine d'années. Et pas seulement à cause du moindre débit des rivières, que les autorités ont cherché à compenser en transportant par camion les bébés saumons pour les relâcher directement en mer.
Entre 2014 et 2016, les eaux du Pacifique ont atteint des températures jamais vues en Amérique du Nord.
Ces "vagues de chaleur océaniques" ont engendré des "conditions de croissance et de survie médiocres pour le saumon", résume M. Mantua. Privés de courants froids, riches en nutriments essentiels, les poissons sont devenus la proie d'autres espèces affamées.
Résultat, la plupart des saumons d'Amérique du Nord sont en difficulté.
"Ce n'est pas juste un problème californien", insiste le spécialiste. "Cela concerne vraiment le Pacifique entier, sauf quelques exceptions", notamment certaines espèces d'Alaska.
- L'agriculture, pointée du doigt -
Mais en Californie, "nos poissons étaient déjà prédisposés à être vulnérables aux chocs climatiques", ajoute-t-il.
Avec ses 40 millions d'habitants, l'Etat le plus peuplé du pays a aménagé ses rivières pour soutenir ses villes et son secteur agricole, essentiel pour nourrir les Etats-Unis. Entre barrages et canaux, les saumons ont perdu 80% des habitats nécessaires à leur ponte.
La gestion de l'eau, largement dévolue aux agriculteurs du centre de la Californie, suscite désormais des crispations. A San Francisco, nombre de pêcheurs réclament qu'elle soit utilisée pour alimenter les rivières plutôt que les producteurs d'amandes, de pistaches ou de noix, très gourmandes en eau et largement destinées à l'export.
"L'eau est plus importante pour les poissons que pour les noix", lâche Ben Zeiger, matelot sur un bateau de pêche sportive.
Plus que le versement d'aides fédérales pour compenser l'interdiction de la pêche, la flotte suit de près les efforts des autorités pour restaurer l'habitat des saumons. Comme le long du fleuve Klamath, au nord de la Californie, où un vaste projet pour détruire quatre barrages hydroélectriques vient de débuter.
Sans vraie réforme de la gestion de l'eau, "nous serons à nouveau dans cette situation" face aux futures sécheresses, craint Mme Bates sur le quai. "Le changement climatique est en marche, et il se produit plus rapidement qu'aucun d'entre nous ne l'avait prévu."
H.El-Din--DT