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Où s'arrête la création musicale et où commence le plagiat? Le roi de la pop britannique Ed Sheeran arrive au terme d'un procès au civil à New York, attaqué pour une chanson qu'il aurait en partie copiée de Marvin Gaye.
Les conséquences de l'issue du procès pourraient s'étendre au reste de la création musicale, au risque de "refroidir" les artistes, avertissent certains musicologues et juristes.
Un jury du tribunal fédéral de Manhattan doit déterminer si le tube planétaire de 2014, "Thinking Out Loud" d'Ed Sheeran, est un plagiat ou non du célébrissime "Let's Get It On" du prince de la soul en 1973.
Les plaignants, dans cette affaire emblématique pour les droits d'auteur musicaux, sont les héritiers d'Ed Townsend, musicien et producteur américain qui avait co-écrit le morceau avec Marvin Gaye.
Ils pointent "des similitudes frappantes et des éléments communs manifestes" entre les deux chansons.
C'est le second procès en un an pour le chanteur et auteur-compositeur britannique de 32 ans, qui avait remporté en avril 2022 une bataille judiciaire distincte devant la Haute Cour de Londres, laquelle avait débouté deux musiciens l'accusant d'avoir copié une de leurs oeuvres pour son méga hit "Shape Of You".
- Guitare au tribunal -
Sheeran, qui assiste aux audiences de New York depuis le 24 avril, a même dû jouer de la guitare et chanter dans le prétoire en gage de bonne foi.
Cité par l'accusation, un musicologue a en effet déclaré que la progression d'accords sur les deux morceaux était quasiment identique.
Le musicien pop a donc joué devant le tribunal les quatre accords clés de "Thinking Out Loud", assurant qu'ils étaient bien différents de ceux dans "Let's Get It On".
L'artiste britannique a aussi raconté avoir écrit son tube en 2014 avec sa partenaire musicale Amy Wadge en "sortant de la douche" chez lui. La chanson s'était hissée deuxième au Billboard Hot 100 et avait gagné le Grammy Award de la meilleure chanson en 2016.
Le risque du procès Sheeran, redoutent des experts, c'est la multiplication de conflits sur les droits d'auteurs et une forme de "paranoïa" qui se développerait chez des musiciens terrifiés à l'idée de se copier les uns les autres.
- "Pure coïncidence" -
"Le monde dans lequel je veux vivre est celui où personne n'attaque personne en justice pour des similitudes mélodiques ou harmoniques, car elles peuvent facilement survenir par pure coïncidence", explique à l'AFP Joe Bennett, musicologue au Berklee College of Music du Massachusetts (nord-est des Etats-Unis).
"Cela ne devrait pas tomber sous la protection du droit d'auteur", estime-t-il.
D'autant qu'apprécier la composition et l’interprétation d'un titre musical est particulièrement subjectif: "Si on joue devant un jury, ça peut partir dans un sens ou dans un autre", prévient M. Bennett.
L'oeuvre du roi du label Motown, l'Afro-Américain Marvin Gaye (1939-1984) avait déjà fait l'objet d'une plainte quand sa famille -- qui n'est pas partie au procès Sheeran -- avait gagné contre les artistes Robin Thicke et Pharrell Williams pour des similitudes entre les chansons "Blurred Lines" et "Got To Give It Up".
Cela avait surpris l'industrie musicale et des juristes qui considèrent que nombre d'éléments mélodiques et harmoniques appartiennent au domaine public.
- "Stairway to Heaven" -
Beaucoup plus connue, l'affaire "Stairway to Heaven" où le célébrissime groupe de hard rock britannique Led Zeppelin avait triomphé face à une formation californienne, la justice américaine jugeant en 2020 que le titre mythique de 1971 n'était pas un plagiat.
Mais pour Joseph Fishman, professeur en droit de propriété intellectuelle à l'université Vanderbilt, le cas Sheeran risque de créer un précédent.
"Cela peut refroidir les auteurs-compositeurs dans leur manière d'écrire: +Est-ce que mon cas va finir en justice?+", interroge le juriste.
D'autant qu'en 1976, le Britannique George Harrison avait été jugé responsable d'avoir "inconsciemment" plagié "He's so Fine" du groupe Chiffons pour son titre solo "My Sweet Lord."
Dans ses mémoires, l'ancien des Beatles avait écrit qu'il avait ensuite souffert de "paranoïa sur l'écriture de chansons".
Cette semaine, Ed Sheeran a laissé entendre qu'il pourrait quitter la scène s'il était condamné à des dommages-intérêts pour plagiat.
D'autres compositeurs lui auraient dit "tu dois gagner pour nous", ajoutant, un brin exaspéré devant le tribunal, que si les héritiers de Townsend gagnent il en aura "fini" avec la musique.
"Je trouve vraiment insultant de travailler toute ma vie et d'avoir quelqu'un qui le dénigre en disant que j'ai volé", a-t-il lancé à la barre.
F.Damodaran--DT