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Ils ont survécu au "Guantanamo à l'envers" et sont venus à la barre raconter leur supplice, "sans haine" mais pour "la justice". Au procès de Mehdi Nemmouche, le parquet antiterroriste a commencé ses réquisitions en disant son "admiration du courage" des ex-otages revenus des geôles du groupe Etat islamique.
Les deux représentants de l'accusation doivent requérir toute la journée devant la cour d'assises spéciale de Paris, après un mois d'un "grand procès", comme le qualifie le premier à prendre la parole, Benjamin Chambre.
Pas un "grand procès" grâce à "ceux" dans le box "qui n'ont jamais eu l'intention d'assumer leurs responsabilités", lance-t-il en pointant Mehdi Nemmouche et ses deux coaccusés, tous trois tête baissée, mais par la "personnalité des otages".
Entre 2012 et 2014 et de "façon systématique", un total de 25 journalistes et humanitaires européens ou nord-américains avaient été enlevés en Syrie par le groupe naissant Etat islamique (EI), dont 16 "sont revenus de l'enfer et 10 ont témoigné devant vous dans un récit d'une grande humanité, retenue, et dignité", dit-il.
"Même les morts nous ont touchés par les témoignages de proches ou les lettres" qu'ils avaient écrites. "Malgré les supplices subis, la culpabilité propre aux revenants, les traumatismes physiques ou psychologiques, aucun ne s'est livré à de la haine ou à un esprit de revanche", et tous ont témoigné pour la "justice", "pour ceux qui ne sont pas rentrés, pour les milliers d'anonymes syriens suppliciés".
Citant Hannah Arendt, il oppose les deux côtés de la salle : le banc des parties civiles où sont assis les journalistes français Didier François, Nicolas Hénin et Pierre Torres (Edouard Elias est absent ce jour) "ceux de l'action et la parole" et de l'autre, dans le box, "ceux qui ont cessé de penser" et "agi en barbares".
A l'audience, dit le procureur antiterroriste, les témoignages des victimes ont permis d'apercevoir "l'oeuvre de terreur" mise en place par "des hommes (qui) ont entrepris de réduire l'humanité à néant".
- "Déshumanisés" -
"Les sévices, cruautés et tortures imposées vont frapper les esprits, tout comme le sort de ceux sauvagement assassinés", à genoux, mains dans le dos en tenue orange pour rappeler celles des détenus de la prison américaine Guantanamo, "dans des vidéos de propagande qui feront le tour de monde", rappelle-t-il.
Les ex-otages "broyés par les jihadistes" ont été torturés, tués, "déshumanisés" en étant appelés "par des chiffres" plutôt que leurs noms, "obligés d'imiter des cris d'animaux". Comme des milliers d'hommes et femmes syriens, eux "torturés des nuits entières sans interrogatoires simplement pour les amener à la mort".
Car ces jihadistes venus rejoindre un "pseudo Etat islamique" pour défendre les musulmans et "combattre Bachar al Assad" comme l'avait soutenu Mehdi Nemmouche, ont en réalité fait de Syriens leurs "premières victimes", dit Benjamin Chambre.
Ils ont "hiérarchisé les victimes", et dans leur système, "la vie d'un Syrien vaut moins que celle d'un Français".
Les geôliers des otages occidentaux étaient surtout des jihadistes étrangers, souligne le magistrat. Des hommes représentant "les volontaires les plus violents, dénués de tout scrupule, qui s'illustreront ensuite" dans plusieurs attentats en Europe.
Ce sera le cas de Mehdi Nemmouche, rappelle le procureur, qui avait été le premier d'une longue série à revenir en Europe pour commettre un attentat, en mai 2014 au musée juif de Bruxelles où il avait abattu quatre personnes. Il a été condamné à la perpétuité en 2019 en Belgique, et encourt la même peine en France.
Les ex-otages l'ont reconnu sans l'ombre d'un doute à l'audience comme pendant les dix ans d'enquête.
"C'est la voix qui m'emmerdait pendant des heures", qui "me terrorisait, qui me faisait chier en cellule". Celle de celui "qui parlait trop, qui parlait tout le temps", avait décrit Edouard Elias à la barre.
Mehdi Nemmouche, qui avait gardé le silence pendant l'enquête, a nié en bloc dès les premières minutes du procès avoir jamais été geôlier, comme son coaccusé Abdelmalek Tanem (pas reconnu par les otages pour sa part).
La défense plaidera jeudi, le verdict est attendu vendredi.
A.El-Nayady--DT