AEX
2.1400
A la tête de 16 boutiques entre Paris, Dubaï et Miami, le pâtissier Yann Couvreur, qui semble plus tenir du roi lion que du furtif renard, son emblème, trace une voie singulière, discrète mais fulgurante dans un milieu de plus en plus concurrentiel.
Dans sa boutique d'une rue chic du 17e arrondissement de Paris (nord-ouest), pleine à craquer pour la présentation de ses bûches de Noël, c'est un grand roux en jogging et baskets qui se faufile presque incognito. "J'aime me faire discret", confie le quadra à l'AFP.
Omniprésent du packaging aux confiseries, lové dans des bûches graphiques aux goûts délicats, le renard incarne le paradoxe d'une marque intimement liée à son fondateur et à son nom, mais qu'il voudrait sans visage, loin de la starification des pâtissiers.
"Il veut mettre la marque davantage en avant que lui", confirme Cyril Le Berre, chargé de la confection des nouveaux gâteaux et de l'évènementiel depuis deux ans.
Totem plus que logo, le goupil est le rappel d'une enfance passée en bordure d'une forêt de banlieue parisienne, apparition fugace pour un gamin qui "ne foutait rien" à l'école.
Le "hasard" a décidé de faire de Yann Couvreur un pâtissier: c'était la profession du voisin qui l'a accueilli pour un stage au collège.
- "Boui-boui" -
Ce bec sucré obsédé par les bonbons Haribo fait ensuite ses gammes dans les plus grands palaces: Park Hyatt et Carré des Feuillants à Paris, Eden Rock de Saint-Barthélemy...
Un parcours rêvé jusqu'à la claque: à la Table du Lancaster, à Paris, le chef Michel Troisgros désavoue un de ses desserts, avant de le licencier.
"J'étais dans une démarche presque égoïste de vouloir démontrer techniquement mes capacités au lieu de me mettre à la place du client", explique l'intéressé, rencontré par l'AFP dans son nouveau local parisien, "La Maison Yann Couvreur", dédié à de futurs cours de pâtisserie.
S'ensuivent six mois de dépression, un retour à Saint-Barth dans un "boui-boui en face de l'aéroport". Avant de rebondir grâce au chef Akrame Benallal qui s'émerveille de sa tarte au citron.
De ce souvenir cuisant, Yann Couvreur a gardé une pâtisserie enfantine et réconfortante où l'excellence technique se garde de l'esbroufe, plaçant sur un piédestal tant le Saint-Honoré que le flan - un de ses desserts préférés -, sans colorants et respectant la saisonnalité des produits.
"J'ai tendance à penser que la meilleure pâtisserie a déjà été inventée", dit-il, tout en s'employant à la "renouveler".
- "Des fous" -
L'ouverture de sa première boutique en 2016 à Paris, dans le quartier alors relativement populaire de Goncourt (nord-est), où les pâtisseries se vendent tout de même entre 6 et 8 euros, lui permet de se "révéler".
Exit "la musique de musée" et les "gants blancs", vive "la pâtisserie cool", le "rap" et un "joyeux bordel": mille-feuille dressé minute, drive-in pendant le Covid... "On n'est rentré dans aucune case", se remémore-t-il avec émotion. "On était des fous."
"Ce jeune homme trace sa route sans regarder celle des autres", écrira cette année-là le célèbre pâtissier Pierre Hermé dans sa préface au premier livre de Yann Couvreur, jury d'un jour dans l'émission culinaire "Top Chef" en 2015.
De son côté, le chef deux fois triplement étoilé Yannick Alléno, qui a travaillé avec lui sur l'Orient Express en 2016, confie à l'AFP avoir été marqué "par sa conscience des textures et des équilibres".
"J'ai toujours l'impression qu'on parle de quelqu'un d'autre", balaie pudiquement le pâtissier.
Pourtant, le succès est fulgurant. "On a eu des crises de croissance qui ont réduit notre expérience de vie", sourit-il. "J'apprends en marchant et surtout en courant."
Ce père de deux enfants, téléphone portable constamment à la main, est exigeant, "franc", "humain et taquin", pour Cyril Le Berre, dévoué à sa "YC family" d'une centaine de salariés.
"Un entrepreneur qui a la tête sur les épaules", selon Yannick Alléno et qui a délaissé ce hasard qui l'a fondé pour peser ses investissements: vaste atelier de fabrication à Colombes (banlieue parisienne), chocolaterie, nouvelles ouvertures à l'international en 2025...
"La marque est devenue très forte", estime Yann Couvreur avec satisfaction. "On a bien fait de miser sur le renard plus que sur moi".
Y.Amjad--DT