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Peut-on être garde du corps de Jean-Marie Le Pen et assistant parlementaire d'un député européen en même temps ? Pendant les premiers interrogatoires au procès du Rassemblement national lundi, les prévenus ont sorti les rames pour tenter de justifier que les contrats signés n'avaient rien de fictifs.
Premier des 26 prévenus à la barre: l'ex-député européen Fernand Le Rachinel, 82 ans. Crâne dégarni, costume sombre, il était l'imprimeur du Front national (rebaptisé RN), a "fait l'Algérie", comme "Jean-Marie Le Pen" - il le rappelle trois fois.
Un temps fâché avec le parti qui lui devait de l'argent, il n'avait pas mâché ses mots pendant l'enquête. En s'en était pris "plein la gueule", avait-il dit à l'époque, pour avoir raconté qu'on lui avait "imposé" des assistants parlementaires qui travaillaient en réalité pour le FN. Alors que lui en aurait préféré des vrais, "chevronnés", pour l'aider à sa tâche d'eurodéputé.
Aujourd'hui, et sans doute au grand soulagement du RN, il est bien plus mesuré, "consterné" d'être ici, lui qui n'a "rien à se reprocher".
Il le reconnaît, c'est Jean-Marie Le Pen qui avait "choisi" ses deux assistants parlementaires entre 2004 et 2009. En l'occurrence, le garde du corps et la secrétaire personnelle du patriarche. Mais d'autres assistants "travaillaient" réellement pour lui, payés sur les enveloppes parlementaires d'autres députés, précise-t-il, reprenant la thèse de la "mutualisation" chère à la défense du Rassemblement national.
"A l'époque c'était comme ça, plus libre... Ce système était connu de tout le monde, même des fonctionnaires européens", assure-t-il à la barre.
Le tribunal pousse: lui, l'ancien chef d'entreprise, qui en a "créé une trentaine", n'a rien vu d'anormal, voire d'illégal, à rémunérer avec l'argent du Parlement européen des gens qui ne travaillaient "absolument pas" pour lui, le député européen ?
"Je crois qu'il n'y a rien de comparable avec une entreprise", élude M. Le Rachinel. "Et pourquoi ? Parce que c'est de l'argent public ?", rétorque la présidente Bénédicte de Perthuis.
- "Sécurité du groupe" -
Son avocat tente de voler à son secours pour démontrer la réalité du travail d'assistant parlementaire - et donc l'absence de détournement de fonds. "C'est un gros travail d'organiser une visite de groupe, l'hôtellerie, le repas ?"
"Oui, tout à fait", ânonne M. Le Rachinel, qui fatigue.
"Et dans votre circonscription, les assistants parlementaires, ils aidaient à préparer les discours ?"
"Tout à fait, tout à fait".
Arrive Thierry Légier, ancien militaire et militant de l'Action française, garde du corps historique des présidents successifs du parti (Marine Le Pen après son père, et aujourd'hui Jordan Bardella).
Mais aussi responsable de "la sécurité du groupe" quand il était au Parlement européen, s'empresse-t-il de préciser.
Crâne chauve, bouche pincée, il se cramponne à la barre, fait des phrases courtes pour être sûr de ne pas dire un mot de trop.
Le tribunal doit s'y prendre à trois fois pour avoir des réponses. Pourquoi avoir signé ce contrat ? "Je faisais confiance au député européen" Lequel ? "Fernand Le Rachinel est député européen, Jean-Marie Le Pen est député européen".
Thierry Légier veut surtout insister sur le fait qu'il travaillait "12 à 18 heures par jour" - même si le tribunal lui répète que le problème n'est pas de savoir s'il a vraiment travaillé, mais plutôt s'il a vraiment été assistant parlementaire.
"Je m'occupais des visiteurs"... il y a "un million de bureaux au Parlement", des "rendez-vous dans d'autres bâtiments", parfois "une réunion dans un bar... Il y a cinq bars au Parlement", énumère-t-il péniblement sans jamais vraiment finir sa démonstration.
Et que pense-t-il de cette indemnité de licenciement "pour motif économique", de près de 30.000 euros, qu'il avait touchée à la fin de son contrat avec M. Le Rachinel en 2009, demande la procureure Louise Neyton, alors qu'il avait signé juste après un autre contrat d'"assistant parlementaire", cette fois de Marine Le Pen ?
Le mandat de M. Rachinel était fini, "c'est logique", rétorque Thierry Légier. "Mais vous travailliez en continu pour Jean-Marie Le Pen", s'étrangle la procureure... avant de laisser tomber. "Plus de questions".
B.Gopalan--DT