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La justice thaïlandaise a banni de la vie politique pour dix ans le populaire opposant Pita Limjaroenrat, et dissous son parti prodémocratie, mercredi, dans une affaire ayant trait à la loi de lèse-majesté qui ouvre un nouveau cycle d'instabilité.
"La Cour constitutionnelle a voté à l'unanimité pour dissoudre Move Forward et bannir les membres du comité exécutif qui ont exercé leurs fonctions du 25 mars 2021 au 31 janvier 2024 (...) pendant dix ans", a déclaré le juge Punya Udchachon, lors de la lecture de la décision.
Elle concerne onze dirigeants, dont l'actuel secrétaire général Chaithawat Tulathon, et sa personnalité la plus connue, Pita Limjaroenrat, qui perd son mandat de député et ne pourra plus se présenter à une élection avant 2034.
Cette décision entretient la mainmise des élites militaires et économiques qui s'alignent sur le roi dans le pays, au détriment de l'expression populaire, selon le camp prodémocratie.
Abonnée aux crises ces 20 dernières années, du fait de divisions tenaces entre l'establishment et de nouvelles générations avides de changement, la Thaïlande entre dans une énième période d'incertitudes qui brouille ses efforts pour relever une économie à la peine depuis la pandémie.
Plus d'un an après une victoire historique aux législatives, Move Forward (MFP) disparaît du paysage politique sous sa forme actuelle, mais ses membres ont promis de reprendre son flambeau progressiste en vue des scrutins à venir.
La presse locale a entretenu ces dernières semaines la rumeur de la création d'un nouveau parti que rallieraient les plus de 140 députés ex-MFP toujours autorisés à siéger.
Pita Limjaroenrat et d'autres dirigeants doivent s'exprimer après 18H00 (11H00 GMT) devant la presse, au siège du parti, à Bangkok.
Devant le bâtiment, quelques dizaines de supporters parés d'orange, la couleur du parti, se sont rassemblés, selon une journaliste de l'AFP.
"Je continuerai à soutenir Pita jusqu'à la mort", a lancé Hua Jaidee, 69 ans, femme de ménage dans une université, estimant qu'en Thaïlande, "les bonnes personnes finissent toujours pas être malmenées" par l'establishment.
Siriporn Tanapitiporn, 53 ans, a pleuré au moment de la lecture de la décision. "Mais je garde espoir dans la nouvelle génération, qui pourra rendre la démocratie à notre pays", nuance cette vendeuse d'aliments dans la rue.
Coqueluche des nouvelles générations, Pita Limjaroenrat a tenté d'insuffler un vent de fraîcheur dans un royaume où la vie politique est dominée par des figures vieillissantes connectées à des familles puissantes ou à l'armée.
Télégénique, diplôme de Harvard, divorcé, actif sur les réseaux sociaux, le candidat a donné son visage au programme de rupture de Move Forward, qui prévoyait une nouvelle Constitution, la baisse des dépenses militaires ou la fin de certains monopoles.
- "33 dissolutions" en 20 ans -
La formation a aussi été la seule à oser évoquer une réforme de la loi de lèse-majesté, jugée hors de contrôle et instrumentalisée par le pouvoir pour réprimer les dissidents.
Cette promesse, assimilée à une tentative de vouloir renverser la monarchie, a valu à Move Forward d'être poursuivi dans l'affaire qui a conduit à sa dissolution.
Ces accusations sont gravissimes en Thaïlande, où le roi Maha Vajiralongkorn bénéficie d'un statut de quasi-divinité qui le place au-dessus de la mêlée politique.
Le parti s'est toujours défendu de toute manœuvre illégale. Il a pointé du doigt l'ingérence d'institutions contrôlées par ses adversaires politiques au détriment de l'expression populaire.
"En principe, la Cour constitutionnelle devrait être utilisée pour défendre la démocratie, et non pour rendre la Thaïlande moins démocratique", avait déclaré Pita Limjaroenrat avant l'annonce de la décision, dans un courriel à l'AFP.
"Lors des deux dernières décennies, 33 partis ont été dissous, dont quatre importants qui étaient élus par le peuple. Nous ne devrions pas normaliser ce modèle ou accepter l'utilisation d'un tribunal politisé pour détruire les partis politiques", a-t-il écrit.
La dissolution, en 2020, de Future Forward, l'ancêtre de Move Forward, avait donné lieu à d'importantes manifestations, éteintes par la pandémie et la répression des autorités visant les principales figures du mouvement, en vertu, dans de nombreux cas, de la loi de lèse-majesté.
Le texte prévoit entre trois et quinze ans de prison pour toute insulte visant le roi ou sa famille, une sanction considérée parmi les plus sévères au monde pour une loi de ce type.
L'an dernier, le vote des députés et des sénateurs qui a rejeté la candidature de Pita Limjaroenrat comme Premier ministre, en dépit du soutien d'une coalition majoritaire à l'Assemblée, n'avait pas suscité de fortes contestations dans la rue.
Plus de quatorze millions de Thaïlandais, un résultat inédit en plus de dix ans, ont choisi Move Forward lors des législatives, pour tourner la page d'une quasi-décennie de domination par les militaires issus d'un putsch en 2014, qui a creusé les inégalités et plombé la croissance.
En dépit des blocages de l'opposition, Pita Limjaroenrat est resté largement en tête des sondages de popularité, selon les dernières publications.
Y.Sharma--DT