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Couvrez ces cuisses que les talibans ne sauraient voir. Sur la longue tribune festonnée, les culturistes qui exhibent une musculature surdéveloppée au concours de Mr Afghanistan portent curieusement de longs shorts descendant sous le genou.
Fini le mini-slip moulant en vigueur jusqu'au retour au pouvoir des talibans, en août 2021, qui permettait d'admirer leurs volumineux quadriceps et adducteurs.
Appliquant avec rigueur la loi islamique, les talibans ont interdit aux concurrents d'exhiber leurs cuisses et ont imposé le port d'un short long.
"En body-building, ça pose un problème", reconnaît auprès de l'AFP Hamidullah Sherzai, couronné trois fois Mr Afghanistan et entraîneur, à 49 ans, de l'équipe nationale de culturisme.
"On est obligé de suivre la charia". Selon les préceptes de la loi islamique relatifs à la pudeur, "un homme ne peut exhiber la partie de son corps allant du nombril jusqu'à sous le genou", explique-t-il.
Problème: dans la notation de Mr Afghanistan, le haut du corps compte pour 50%, mais les cuisses aussi.
Il se murmure que les membres du jury voient les candidats seulement vêtus d'un slip, en coulisse, avant leur performance devant le public.
Dans l'immense gymnase du Stade de Kaboul qui a accueilli en milieu de semaine la grande fête annuelle du culturisme, plus de 200 hommes ont donc défilé avec de longs shorts, par catégories, devant le jury et des sommités talibanes.
- Tradition de culturisme -
Avant l'entrée en scène des culturistes, les membres de leur staff s'affairent autour d'eux: ils enduisent leur corps d'une crème colorante, les vaporisent d'un spray, puis les éventent. La peau prend une teinte foncée et luisante, un peu surréelle.
Sur l'estrade et dans un déchaînement de décibels, les culturistes prennent les poses classiques de la discipline, enchaînant les figures.
Ils bombent des torses surhumains, font tressauter leurs pectoraux hypertrophiés, creusent le ventre en exhibant des tablettes de chocolat. Puis ils tournent le dos et lèvent les bras pour faire saillir des muscles insoupçonnés du commun des mortels.
Mains sur la nuque ou genou au sol, ils poursuivent leur musculeuse parade devant plusieurs centaines de spectateurs -- exclusivement masculins -- qui hurlent et sifflent pour encourager leur favori.
"Notre pays aimé doit être reconstruit": la sono crache une chanson assourdissante talibane, le seul genre de musique autorisé par Kaboul.
Dans un Afghanistan à la longue tradition de culturisme et qui a glané de nombreux prix internationaux, le body-building suscite toujours les passions.
Sous l'effet de la forte présence étrangère et de l'influence culturelle américaine, les salles de musculation avaient poussé comme des champignons dans tout le pays lors des 20 années d'occupation de la coalition occidentale qui avait chassé les talibans du pouvoir.
Lors de leur premier règne (1996-2001), ces derniers avaient toléré le culturisme, mais à condition que les hommes portent le shalwar, le pantalon bouffant de la tenue traditionnelle afghane, ou un pantalon.
- "Une occasion de s'amuser" -
Aujourd'hui, le culturisme étant l'un des rares loisirs qui leur est encore accordé, les Afghans font contre mauvaise fortune bon coeur.
Plus que le port de longs shorts, ce sont les financements qui préoccupent les adeptes.
"Beaucoup de gens sont intéressés, mais le gros obstacle ce sont les problèmes financiers", explique Khwaja Sediqi, 41 ans, membre de l'équipe nationale de body-building.
"Nos athlètes doivent payer la cotisation du club et avoir un bon régime alimentaire, alors qu'ils ne reçoivent aucune aide", dit-il. Soit de 1.500 à 1800 afghanis par mois, environ 20 euros -- une somme dans ce pays.
Najibullah Ahadi, un culturiste de 30 ans présent dans le public, déplore que ceux qui participent à des concours à l'étranger "paient presque toutes les dépenses de leur poche" alors qu'"avant c'était le gouvernement".
"On a des athlètes très talentueux qui n'ont pas pu aller aux concours internationaux parce que les coûts étaient trop élevés", regrette-t-il.
Mais, "l'Afghanistan est aujourd'hui dans une telle situation qu'on n'a pas beaucoup de raisons d'être heureux", alors le culturisme "est une bonne occasion de s'amuser".
Arrivé deuxième dans la catégorie "fitness", Noor Rehman Rehmani, 24 ans, regrette lui aussi "la baisse du soutien" des autorités, mais se félicite que les concours continuent pour "l'une des disciplines qui a le plus de fans".
C'est Mohammad Ayoub Azemi, 33 ans, originaire de Hérat (ouest), qui a été désigné Mr Afghanistan. Et même une armoire à glace de 103 kilos peut avoir du mal à ravaler ses sanglots.
"J'ai dormi dans une voiture après les tremblements de terre" à Hérat en octobre dernier, dit-il, mais "maintenant je suis Monsieur Muscle!"
Sa victoire ne lui rapporte pas d'argent, juste une coupe et une médaille.
Mais, ce qui compte le plus: un immense prestige.
X.Wong--DT