AEX
13.6800
La Cour internationale de justice, plus haut tribunal de l'ONU, a ordonné jeudi à la Colombie de "cesser immédiatement" toute ingérence dans des eaux de la mer des Caraïbes reconnues comme appartenant au Nicaragua mais qui restent l'objet d'un lourd contentieux bilatéral.
Par neuf voix contre six, les juges de la Cour (CIJ) ont estimé que la Colombie devait "cesser immédiatement ce comportement" et, par dix voix contre cinq, qu'elle avait "violé les droits souverains et juridictionnels du Nicaragua", a dit la juge Joan Donoghue. La CIJ a en revanche rejeté la demande de compensation financière formulée par Managua, d'après la même source.
Ces deux pays latino-américains n'ont pas de frontière terrestre mais une frontière maritime, sujet de tensions depuis quasiment un siècle, dans une zone riche en pétrole et poissons.
Le gouvernement du président du Nicaragua, Daniel Ortega, a salué dans un communiqué le verdict de la CIJ, qui "donne raison au Nicaragua d'affirmer que la Colombie a mis en œuvre une politique d'État qui a violé la juridiction et les droits souverains" du pays d'Amérique centrale.
Dans une première réaction à la sortie du tribunal, le représentant colombien Carlos Gustavo Arrieta Padilla a de son côté estimé que le jugement de la Cour était "globalement en faveur" de son pays, allant jusqu'à affirmer que la CIJ avait "maintenu la possibilité pour la marine colombienne d'être présente sur zone".
Le président colombien Ivan Duque a également salué la capacité "fondamentale" de la marine à poursuivre sa présence et à exercer son "droit à la libre navigation et à survoler la zone".
M. Duque n'a pas mentionné s'il accepterait ou non la décision de la CPI selon laquelle la Colombie devrait cesser son ingérence. Mais il a salué le fait que la communauté de San Andres puisse continuer à pêcher là où elle l'a toujours fait.
- Longue bataille judiciaire -
Le Nicaragua avait amené la Colombie devant la CIJ en 2001, et gagné en 2012 plusieurs dizaines de milliers de km2 de zone économique exclusive (ZEE), auparavant sous le contrôle de Bogota.
Cette décision avait été vécue comme un traumatisme par la Colombie, qui avait déclaré ne plus reconnaître la compétence de la CIJ sur les litiges frontaliers.
Le Nicaragua avait à nouveau saisi en 2013 la Cour de La Haye, arguant des violations du jugement par Bogota dans les vastes étendues maritimes.
Les juges de la Cour avaient statué en 2016 qu'elle était bel et bien compétente dans cette affaire, écartant les objections colombiennes.
Les avocats de Managua avaient aussi demandé à la CIJ de statuer sur le versement d'une indemnisation par Bogota en contrepartie "de la menace ou de l'usage de la force par la marine colombienne contre les bateaux de pêche nicaraguayens". Cette requête a donc été rejetée jeudi par les juges de la Haye.
– "Impératifs" –
Dans une partie d'accusations croisées, les avocats de la Colombie avaient rejeté les allégations de Managua selon lesquelles sa marine bloquait les navires de pêche nicaraguayens, et accusé le Nicaragua d'interférer avec les droits de pêche des autochtones.
Ils avaient affirmé que la perte de zones de pêche en raison de la décision de la CIJ de 2012 avait particulièrement affecté les Raizales, une communauté anglophone et créole constituée principalement de descendants d'esclaves enlevés d'Afrique.
Sur ce point, la juge Donoghue a déclaré jeudi que la Colombie n'avait "pas été en mesure d'établir que les habitants de l'archipel de San Andres, en particulier les Raizales, jouissaient de droits de pêche dans les eaux désormais reconnues comme partie de la ZEE" du Nicaragua.
Bogota affirmait par ailleurs que sa présence dans cette zone était "due à d'autres impératifs" comme la lutte contre le trafic de drogue et le sauvetage maritime international.
La CIJ a été créée en 1946 pour régler les disputes entre États. Ses jugements sont contraignants et sans appel, mais la cour n'a aucun moyen de les faire respecter.
Dans de rares situations où un pays refuse d'appliquer la décision de la cour, l'affaire peut alors être portée devant le Conseil de sécurité de l'ONU par l'État plaignant.
J.Chacko--DT